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Troisième édition du Festival Filao en Martinique contre vents et marées

Troisième édition du Festival Filao en Martinique contre vents et marées

En pleine pandémie, la deuxième édition du Festival Filao avait pu se tenir miraculeusement. En 2021 d’autres difficultés sont venues quelque peu perturber l’organisation mais la troisième édition a eu lieu, encore plus rayonnante de soleil et de culture. Reportage...

Festival Filao / Fabrice di Falco (c) Mairie de Saint-Pierre

Juste avant les fêtes de Noël, l’habitude est maintenant prise par les mélomanes présents à la Martinique qui se rendent nombreux à Saint-Pierre pour assister aux représentations proposées par le Festival Filao. Etalé sur trois jours, l’événement créé par Fabrice di Falco et Julien Leleu en 2019 fait revivre le passé glorieux de la ville de culture et d’histoire où la musique classique occupait une place de choix. Il est heureux de pouvoir parler chaque saison de ce petit coin de paradis autrement qu’avec les clichés d’usage même si, à quelques jours du début des festivités, l’actualité brûlante a failli tout chambouler. La reprise de l’épidémie du Covid et les récentes émeutes ont brouillé l’image idyllique d’une culture plus forte que le reste. Contraintes par le couvre-feu et les nouvelles restrictions imposées en Martinique, les équipes du Festival ont dû réduire la voilure en concentrant sur une seule journée les rendez-vous déjà prévus. Le dimanche 19 décembre 20219, la troisième édition de Filao qui s’est ouverte la veille avec le Concours Voix des Outre-Mer a accueilli des conférences de très haut niveau, un délicieux concert de musique de chambre et s’est conclue avant 18h30 par un récital de Fabrice di Falco, fier ambassadeur de Saint-Pierre et de toutes les outre-mer. Contre vents et marées, le Festival a pu se tenir en se teintant d’une nuance plus politique cette fois. Les sujets hautement sensibles de la vaccination et des émeutes ont été soigneusement évités mais dans leur volonté de réunir plutôt que diviser, les intervenants ont fait entendre encore plus fort la voix de la culture en essayant de dépasser toutes les frontières. Les sponsors plus frileux n’ont pas tous répondu présents, les plus pessimistes ayant même imaginé l’annulation. C’était sans doute mal connaître la volonté et la pugnacité des organisateurs, capables de déplacer les montagnes et pourquoi pas pour l’occasion, la montagne Pelée elle-même ? Toujours à sa place, le menaçant volcan qui domine toujours Saint-Pierre pouvait être aperçu depuis les grandes baies vitrée de la Salle de la Guinguette ouvertes sur l’océan.

Le concours qui créé l’ouverture

Comme la toute première fois en 2018, la finale du Concours Voix des Outre-mer Martinique s’est tenue ici, dans la blancheur d’une vaste pièce à la très bonne acoustique où le bruit des vagues ajoute à la magie de l’ensemble. Neuf candidats se sont présentés à l’épreuve. A l’issue, Any Davidas a été couronnée par les membres du jury qui ont décerné ce premier prix à l’unanimité, subjugués par le superbe air de La Wally de Catalani, « Ebben? Ne andrò lontana ». La soprano représentera la Martinique lors de la finale à l’Opéra national de Paris, le 10 janvier 2022. Elle sera accompagnée par l’autre lauréate. Agée de 15 ans, Naïly Pignet concourt dans la catégorie des jeunes talents. D’autre prix ont été remis lors de la soirée parfaitement accompagnée par la pianiste et chef de chant Antoinette Hartmann. Artiste éclectique, Mélodie Tarrieu repart avec une bourse qui lui permettra de perfectionner la technique vocale. Le tout jeune et prometteur Curtis Luyeye (13 ans) a reçu les encouragements du jury qui le qualifient d’office à l’épreuve de la finale 2022. Enfin, le groove de Yasmina Marajo lui a permis de décrocher le prix Musique du Monde. Même s’ils n’ont pas été récompensés, quelques talents se sont fait remarquer comme le baryton Grégory Charlec qu’il serait souhaitable d’entendre à nouveau dans ce contexte. Essentiel, le Concours Voix des Outre-mer a pour but de rendre visible la richesse et la diversité des Outre-mer et de célébrer la musique sous toutes ses formes par la promotion du chant lyrique. Il mériterait d’être reconnu d’utilité publique.

René Maran, le premier Goncourt noir

Festival Filao / Suzanne Dracius et René Maran (c) Hugues Rameau-Crays

Le métissage des cultures est l’une des particularités du Festival Filao. Après le chant, la littérature s’est invitée dans la salle de la Guinguette grâce à la femme de lettres et conférencière, Suzanne Dracius qui est venue nous parler de René Maran. Le grand public a hélas oublié qu’il est le tout premier écrivain noir à avoir reçu le prix Goncourt avec son premier roman Batouala. L’événement a eu lieu le 14 décembre 1921 et cent ans plus tard, il est heureux de mettre à nouveau en lumière cet auteur bordelais, né sur un bateau entre la Guyane et la Martinique en 1887. Dans les larges extraits que nous lit avec gourmandise Suzanne Dracius, l’on découvre à la fois la critique acerbe du système colonialiste et un regard empreint d’une ironie assez amusante. Le chef africain Batouala y est décrit comme un homme naturel doué de l’émotion que la raison blanche utilitariste ignore. Les éditions Albin Michel qui ont récemment réédité Batouala l’ont toutefois amputé de son sous-titre « Véritable Roman nègre » cédant sans doute à la mode américaine. L’oratrice pointe le rejet de l’adjectif comme une incompréhension de la négritude si chère à Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor. Professeur de Lettres Classiques, elle souligne également qu’une réforme de l’orthographe se fait toujours attendre car la majuscule est de rigueur lorsque l’on évoque les Blancs mais toujours pas quand il s’agit des noirs. Joséphine Baker entre au Panthéon mais de nombreuses portes restent encore à franchir.

Le quatuor martiniquais brise les barrières

Festival Filao / QCM (c) Hugues Rameau-Crays

Une vision folklorique et convenue a tôt fait de réduire la culture musicale des Antilles à la Biguine ou au Zouk. Depuis 2013, l’ensemble QCM (Quintette Classique de Martinique) défend avec passion un autre répertoire. Le succès remporté par le concert qu’ils ont donné en début d’après-midi à Saint-Pierre démontre l’intérêt des festivaliers pour la musique classique mais également que les frontières n’enferment que ceux qui les dressent. Déjà présents lors de la dernière édition de Filao, les QCM sont venus cette fois dans une formation quatuor classique avec les traditionnels violon 1, violon 2, alto et violoncelle. Derrière son instrument, l’une des fondatrices Capucine Laudarin a annoncé les œuvres au programme en racontant quelques anecdotes bienvenues. Après une ouverture très agréable avec un tube du classique (le canon de Pachelbel), les musiciens ont ouvert le bel éventail de leur répertoire en interprétant des œuvres de Corelli, Vivaldi, Mozart, Brahms ou un très émouvant Schubert. Le travail pédagogique se double d’un vrai plaisir de mélomane car le Concerto Grosso « Fatto per la notte di Natale » de Corelli ou le Concerto No. 11 de Vivaldi n’ont pas été saucissonnés pour en extraire les morceaux les plus connus. Le rare Quatuor No. 1 du chevalier de Saint-Georges a ainsi été joué dans sa belle intégralité nous rappelant combien il était important de redécouvrir ce compositeur, homme des Lumières. Les spectateurs enthousiastes ont réservé une ovation aux artistes qui leur ont offert en bis le premier mouvement de Palladio, œuvre de Karl Jenkins composée en 1996.

Théâtre antique et Opéra, même combat !

Festival Filao / Fabrice di Falco et Tristan Isaac (c) Hugues Rameau-Crays

Le lien entre les anciens et les modernes a été mis en évidence dans la nouvelle conférence animée par Tristan Isaac, le quatrième événement au programme du Festival Filao 2021. Agrégé de Lettres Classiques et chargé de cours à la Sorbonne, le jeune homme a présenté un passionnant exposé sur les théâtres antiques, ancêtres de nos salles d’Opéra plus que des théâtres actuels. Les parallèles sont en effet nombreux et il suffit d’évoquer quelques termes antiques comme la Scaena, l’Orchestra ou même le Deus ex machina pour s’en rendre compte. Il n’est pas étonnant de trouver autour des fonds baptismaux de l’Opéra quelques membres de la Camerata Fiorentina qui réunissait de fervents humanistes. Ils ont trouvé dans le théâtre grec et latin une source d’inspiration intarissable. Hélas, la musique que l’on pouvait entendre dans les théâtres antiques s’est perdue faute de système de notation approprié. L’on sait en revanche que l’apprentissage et le travail des artistes étaient très exigeants et que les meilleurs d’entre eux étaient de véritables stars. Les mélomanes grecs et latins appréciaient tout particulièrement la beauté physique des acteurs et la douceur de leur voix.

Fabrice di Falco rend hommage à ses divas

La transition semble toute trouvée pour évoquer le dernier rendez-vous de la troisième édition de Filao avec le récital de Fabrice di Falco. Ce concert hommage aux grandes divas noires aurait dû être raconté par Richard Martet, admiré rédacteur en chef d’Opéra Magazine. Un empêchement nous a privé du conférencier et c’est l’auteur de ces lignes qui s’est humblement glissé dans les mots de Richard pour présenter le concert sur scène aux côtés des artistes. La déontologie interdit donc de critiquer les prestations mais il est permis de décrire l’émotion ressentie de part et d’autre des projecteurs. L’idée du récital a germé après les très beaux hommages rendus à la soprano martiniquaise Christiane Eda-Pierre par des artistes prestigieux comme Karine Deshayes, Patrizia Ciofi, Marie-Laure Garnier ou Fabrice di Falco. Le contre-ténor a souhaité poursuivre cette fière mise en lumière des talents par l’évocation d’autres superbes divas noires qui ont toute connu le racisme et la ségrégation. Le concert s’est ouvert avec un air d’Alcina de Haendel que Christiane Eda-Pierre a incarné au Festival d’Aix-en-Provence en 1978. Dans l’histoire des grandes voix internationales, la contralto américaine Marian Anderson, première diva noire à se produire sur la scène du Metropolitan Opera de New York, fait figure de pionnière. Les notes de l’Ave Maria de Schubert ont résonné dans la splendide salle de Saint-Pierre en hommage au concert qu’elle donna sur les marches du Mémorial Lincoln de Washington en 1939. Dans les années 60, après avoir fait leurs armes en Europe comme Marian Anderson, trois divas se partagent le haut de l’affiche du Met. Leontyne Price, Shirley Verrett et Grace Bumbry ont laissé un souvenir éblouissant à ceux qui ont eu la chance de les applaudir sur scène. Le disque garde la trace précieuse de leurs incarnations comme Carmen et la célébrissime Habanera chantée par le contre-ténor. Le moment le plus bouleversant du concert est venu avec cet autre air bien connu, « J’ai perdu mon Eurydice » extrait de l’Orphée et Eurydice de Gluck. Une belle dame était présente dans cette évocation, Francillette, la propre mère de l’artiste décédée quelques semaines auparavant. Le spectacle a repris avec le sensuel « Mon coeur s’ouvre à ta voix » (Samson et Dalila, Saint-Saëns) que Shirley Verrett et Grace Bumbry ont beaucoup chanté puis avec la mort de Didon, extrait de l’opéra de Purcell Dido and Aeneas. Tous les mélomanes ont en mémoire l’interprétation vibrante de l’admirable Jessye Norman. L’hommage évident a toutefois rappelé que la grande diva a elle aussi dû faire ses preuves en Europe avant de conquérir sa place dans son propre pays. La dernière artiste de couleur à laquelle Fabrice di Falco a rendu hommage est Barbara Hendricks qui, de passage dans les Antilles il y a quelques années, a entendu le jeune garçon et comme une bonne fée lui a insufflé l’étincelle de star. Accompagné tout du long par le remarquable pianiste Adam Czulak, Fabrice di Falco, face à la mer, a offert en bis l’Hymne au soleil extrait d’Akhnaten de Philip Glass.

Festival Filao / Fabrice di Falco (c) Mairie de Saint-Pierre

La troisième incroyable édition du Festival Filao s’est refermée avec beaucoup d’émotions, le bercement de la mer et le soleil couchant en toile de fond. Comme nous le disions déjà en 2020, Fabrice Di Falco, Julien Leleu et toutes les équipes autour d’eux ont été les merveilleux artisans qui ont donné le plus doux rêve qu’on puisse avoir sous un ciel azur. Nous ne pensions pas écrire de nouveau que pour les artistes et pour les mélomanes dont la vie est faite d’art et de musique, le monde est encore bien incertain. Portons notre regard vers un avenir plus radieux où renait le soleil qui veillera immanquablement sur l’édition 2022 du Festival Filao, attendue de pied ferme !

 

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