Le mélomane globe-trotter sur les terres de George Enescu à Bucarest
Parmi les événements de l’été, le Festival Enescu de Bucarest est l’un des rendez-vous les plus prestigieux. Avec une programmation luxueuse, les mélomanes gâtés savent qu’il fait partie des incontournables mais ce n’est pas le cas de tout le monde ! Reportage…
Il est étonnant que Bucarest et la Roumanie jouissent encore d’une si piètre réputation auprès des voyageurs européens. L’enclave latine en pays Balkans possède pourtant une richesse culturelle admirable et même si sa capitale a été particulièrement meurtrie pendant la période communiste, elle garde encore vivace le souvenir du « petit Paris » telle qu’on l’appelait autrefois. Dans un mélange de style assez inédit, le charme de Bucarest opère pour qui sait y succomber. En déambulant sur la Calea Victoriei ou dans les străzi arborées, il n’est pas rare de trouver des villas semblables aux pavillons des Champs-Élysées. La France, bien arrogante, a trop vite fait d’oublier le lien culturel, pourtant si fort, qui l’unit à la Roumanie. Et pourtant, de nombreux artistes comme Brancusi, Cioran, Ionesco, Tristan Tzara ou même Vladimir Cosma ont apporté une contribution significative à sa culture. Georges Enesco (1881-1955), le plus européen des compositeurs roumains, a passé une grande partie de sa vie à Paris où il a côtoyé Ravel, Debussy mais également Fauré ou Richard Strauss.
Le Festival et le Concours George Enescu pour tous les gourmands
Le grand humaniste a été un pédagogue réputé qui a eu comme élève Dinu Lipatti, Christian Ferras, Ivry Gitlis ou Yehudi Menuhin. Le violoniste a déclaré à son propos : « Ce qu'il m'a transmis, par son exemple, et non par ses paroles, ce fut l'aptitude à transformer la note en un message vital, de donner une forme, un sens à la phrase, d'insuffler vie à la musique ». Il semble bien naturel qu’un festival international de haute tenue porte son nom. Il est étonnant en revanche que la première édition du Festival George Enescu ait eu lieu en 1958, en pleine République populaire roumaine, régime dictatorial. Les gouvernants ayant besoin d’une vitrine culturelle, la figure du compositeur roumain émérite semblait toute trouvée. D’abord triennal, le festival a trouvé son rythme de croisière à partir des années 2000 en revenant tous les deux ans, en alternance avec le concours international réputé (Concursul Internațional George Enescu), créé également en 1958. Aujourd’hui avec Cristian Măcelaru à la direction artistique, le rendez-vous fait partie des grands incontournables de la fin de l’été. Lors de cette 27ème édition 2025, par exemple, c’est une petite centaine de concerts et d’évènements qui se succèderont dans des salles de toute beauté à Bucarest mais aussi dans des villes majeures de Roumanie (Timișoara, Sibiu, Iași, Constanța et Cluj-Napoca). Du 27 août au 21 septembre 2025, on ne compte plus les orchestres prestigieux que les festivaliers peuvent applaudir avec une difficulté pour eux, celle de choisir ! Comme pour un gourmand dans une pâtisserie où tous les gâteaux sont alléchants, le plus dur est de se limiter.
George Enescu de Bucarest, de Paris, d’Europe et du monde !
Outre l’orgie de concerts et de spectacles de grande qualité, un autre intérêt du Festival George Enescu est de découvrir la richesse musicale de la Roumanie avec de nombreux spectacles joués par les ensembles du pays, tout aussi majeurs. Et puisque le compositeur est à l’honneur, il est plus que plaisant de pouvoir entendre (et découvrir) ses œuvres. Même si le catalogue d’Enescu ne compte qu’une trentaine d’opus, il a énormément composé et dans tous les styles. En matinée du 30 août 2025, un concert de musique de chambre dans l’Auditorium du Musée national d'art (salle fonctionnelle qui n’est pas sans un certain charme) aura permis d’entendre le Quatuor No. 2 par l’Ad Libitum Quartet. La journée du festivalier peut être très remplie le week-end où, si son emploi du temps le permet, il peut assister jusqu’à cinq représentations qui se répartissent dans trois salles principales. Les grands orchestres internationaux sont plutôt accueillis Salle du Palais (Sala Palatului) comme le Philharmonia Orchestra, ce 30 août 2025. Dans cet impressionnant bâtiment typique de l’architecture des années 50-60 qui peut recevoir jusqu’à 3 000 spectateurs, la pianiste internationale Alexandra Dariescu a joué, fort bien, la Fantaisie pour piano et orchestre. Par certains aspects, l’œuvre de jeunesse peut rappeler Brahms ou d’autres maîtres mais n’en demeure pas moins intéressante surtout interprétée avec conviction par la pianiste mais également par l’orchestre et son chef, Santtu-Matias Rouvali particulièrement inspiré et précis. Dans le confort de la Sala Radio, très belle salle à l’acoustique généreuse, les festivaliers émus ont pu entendre Vox Maris Op. 31, dimanche 31 août 2025. George Enescu n'a pas vécu assez longtemps pour assister à la création de son œuvre (qui a vraisemblablement eu lieu ici même en 1964). Les fascinants mouvements marins et le chant des sirènes ont été admirablement interprétés par le ténor George Vîrban et le Sinfonia Varsovia et le Corul Academic Radio dirigés par Marta Gardolińska. La plus belle des salles bucarestines, l'Athénée Roumain (Ateneul Român, joyau de l'architecture néoclassique classé site du patrimoine européen) a été le lieu de la plus belle des découvertes. Le 30 août, lors d’un des concerts de minuit, la Camerata Regală, formation royale, a joué la Suita nr. 3, Săteasca de George Enescu. Les mélodies puisées dans la musique traditionnelle roumaine donnent une couleur particulière et sont une belle porte d’entrée dans l’univers d’un compositeur de premier plan. Dans les grandes capitales européennes de la musique classique, Bucarest, grâce à son Festival, mérite une place de choix. Îmi place foarte mult România și Festivalul Enescu.


