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Cecilia Molinari : « Ce n’est pas parce que je suis italienne que je dois chanter tout le répertoire belcantiste ! »

Cecilia Molinari : « Ce n’est pas parce que je suis italienne que je dois chanter tout le répertoire belcantiste ! »

La sensation de la rentrée parisienne, c’est elle, Cecilia Molinari, qui a triomphé sur la scène du Palais Garnier, en septembre 2025, dans l’Ariodante de Haendel, dans la reprise de la production de Robert Carsen. Entourée de collègues de renom comme Sabine Devieilhe, Jacquelyn Stucker ou Christophe Dumaux, la mezzo a joué jeu égal sous la direction inspirée de Raphaël Pichon. Alors que Paris la découvre, la pétillante Cecilia a déjà une belle carrière à son actif qui l’a conduite à l'Opéra national de Lyon, au Staatsoper de Vienne, au Semperoper de Dresde, à l’Opéra de Rome et au Teatro Carlo Felice de Gênes ou encore au Festival de Salzbourg pour interpréter un beau répertoire de Mozart à Rossini et Verdi. Diplômée du Conservatoire de musique de Padoue, elle a également étudié à l'Université de Médecine et de Chirurgie. Le chant s’est imposé à elle lors d’une académie à Pesaro, au cours du Rossini Opera Festival, animée par le grand chef, musicologue et pédagogue, Alberto Zedda. Il est heureux que l’art lyrique ait fait l’acquisition d’un nouveau joyau car le mezzo riche de “la“ Molinari fait et fera des merveilles. Il est aisé de lui prédire d’autres nombreux succès tant l’artiste est enjouée, passionnée et lumineuse. Lors de l’entretien qu’elle nous a accordé, entre rires et propos intelligents, nous avons découvert sa belle personnalité mélange de sérieux, d’ouverture d’esprit et d’avidité à profiter pleinement de l’instant avec bonheur…

Cecilia Molinari © Alina Fejzo

 Vous êtes de retour en Italie après le succès d’Ariodante de Haendel au Palais Garnier, une pause bienvenue ?

Oui ! J’étais à Paris depuis le 18 août et après Ariodante, mon rôle est maintenant celui de tata car je passe quelques jours avec mes nièces.

Vous aviez déjà chanté à Paris mais jamais au Palais Garnier. Comment l’avez-vous vécu ?

J’ai chanté au Théâtre des Champs-Elysées le rôle de Zulma de L’Italiana in Algeri de Rossini en version de concert, dirigée par Michele Mariotti, mais je n’avais jamais mis les pieds au Palais Garnier avant les répétitions d’Ariodante. Entrer dans cette salle pour la première fois est très impressionnant. L’or, les lustres, la coupole de Chagall… c’est, très honnêtement, la plus belle salle que j’aie vue. Elle est chargée d’histoire et on y sent réellement une énergie particulière.

Et pourtant, vous vous êtes déjà produite dans d’autres grands opéras de légende, Vienne, Berlin, Dresde, Venise…

Oui mais aucun ne possède un plafond peint par Chagall ! (rires). Le contraste de la coupole avec l’ensemble est si tranché qu’il crée vraiment quelque chose d’unique grâce aux couleurs, à la lumière. Tout le monde se fait une idée du Palais Garnier, de Paris, son prestige… mais lorsque vous découvrez la salle en vrai, c’est tout à fait impressionnant !

Avez-vous été séduite par l’acoustique de Garnier ?

ARIODANTE 2025/2026 (Cecilia Molinari, Jacquelyn Stucker) © Guergana Damianova / OnP

Certains collègues m’avaient dit qu’elle pouvait être difficile mais je n’ai pas trouvé du tout. Les décors de Robert Carsen, entièrement en bois et intelligemment placés, aident beaucoup à renvoyer le son. Pour moi, ce n’est pas les salles qui posent problème, mais parfois la scénographie ou le placement des décors. Comme vous le savez, nous ne portons pas de micro et si le plateau est grand ouvert, cela peut être déstabilisant pour notre projection en créant de l’inconfort. Travailler avec des metteurs en scène comme Robert Carsen qui connaissent parfaitement les enjeux est particulièrement précieux pour les artistes.

C’était votre première collaboration avec lui ?

Oui. Il a assisté à une bonne partie des répétitions pour faire des propositions et des suggestions, ce qui n’est pas toujours le cas pour une reprise. Nous avons construit le rôle ensemble apportant chacun nos idées. C’est assez rare car lorsqu’une nouvelle distribution arrive, les metteurs en scène qui ont déjà travaillé leur vision du personnage ne s’embarrassent pas toujours de l’apport des nouveaux artistes. Trouver l’équilibre entre la vision du metteur en scène et notre personnalité, c’est un travail de compromis que j’aime vraiment.

Et avec Raphaël Pichon, qui dirigeait son premier Haendel ?

ARIODANTE 2025/2026 (Cecilia Molinari, Jacquelyn Stucker) © Guergana Damianova / OnP

Une magnifique collaboration et surtout une rencontre chanceuse. Alors qu’il a l’habitude de travailler avec des chanteurs qu’il connaît déjà, je suis vraiment reconnaissante qu’il ait pris le risque de me confier le rôle-titre. Nous avons travaillé sur les couleurs, les nuances, les variations… allant même jusqu’à discuter de la direction que nous voulions emprunter et surtout des risques à prendre pour rendre le spectacle encore plus vivant. Chaque représentation était différente. Il m’est arrivé d’apporter une nuance plutôt forte et l’orchestre a réagi immédiatement. De même certains soirs, Raphaël sentait qu’un piano serait plus juste. Je l’entendais et j’adaptais ma voix dans une belle et joyeuse connexion. Cette confiance-là est rare et précieuse. Je l’ai ressentie également avec mes prestigieux collègues avec qui nous avons joué main dans la main.

Vous aviez déjà chanté Ariodante à Martina Franca et Lisbonne. Cela change la manière d’aborder le rôle ?

Oui, chaque production enrichit la suivante. À Martina Franca, c’était un vrai pari car le Festival della Valle d'Itria présente rarement du baroque tandis qu’à Lisbonne, nous avons chanté une version réduite. Garnier m’a permis d’aller plus loin, notamment grâce à l’orchestre et à la mise en scène.

Votre parcours a commencé à Pesaro, au Festival Rossini où vous avez suivi l’enseignement d’Alberto Zedda ?

Il connaissait Rossini mieux que personne et lorsque vous êtes face à un tel spécialiste du style, non seulement vous lui faites une confiance aveugle mais vous absorbez tout ce qu’il vous apprend. L’Académie Rossini est une école exigeante et très formatrice, surtout qu’à cette époque, nous partions de zéro.

La technique belcantiste est un socle mais votre carrière s’est envolée très vite ?

Cecilia Molinari © Teatro Rossini Recital - Silvano

J’ai commencé par des seconds rôles, comme Zulma (L'italiana in Algeri) ou Zaida (Il turco in Italia) parce que je ne me sentais pas capable d’affronter les premiers. Il faut du temps pour assumer la responsabilité et supporter la pression qui pèse sur vos épaules. Se produire devant les critiques et même devant le public demande un certain recul qui vient naturellement avec la confiance en soi. Obtenir le bon rôle dans le bon théâtre au bon moment est aussi une question de chance mais la patience est un atout. Je suis restée suffisamment longtemps dans le répertoire de Haendel, Rossini et Mozart pour pouvoir me produire n’importe où et même, la tête à l’envers ! Il est important de se sentir en sécurité avec votre voix pour aborder des répertoires plus lourds. Je ne souhaite pas me précipiter sur les grands rôles, chaque chose en son temps. C’est mon style de carrière, pas de pression ! (rires)

Quels rôles vous attirent désormais ?

Cecilia Molinari © Alina Fejzo

Octavian dans Der Rosenkavalier de Richard Strauss est le rôle dont je rêve actuellement. Même si je n’ai encore jamais chanté dans cette langue, j’ai déjà travaillé mon allemand et je me prépare pour être parfaite. On n’aborde pas un rôle aussi iconique à la légère. J’aime beaucoup les travestis qui conviennent à ma voix et à mon physique. Je pense au Prince charmant de Cendrillon de Massenet et également à Roméo dans I Capuleti e i Montecchi de Bellini que j’aimerais aussi chanter. Charlotte de Werther, évidemment, mais pour les reines de Donizetti en revanche, je préfère attendre. Ce n’est pas une question de style mais plutôt d’aigus et de ligne de chant réclamée par l’orchestration. Cela dit, je m’autocensure peut-être ! J’ai un esprit plutôt scientifique et j’aime faire les choses de façon rationnelle et organisée. Pour conserver sa santé physique et vocale, il me semble important et intelligent de savoir intégrer dans votre agenda des rôles plus exigeants entre deux représentations de votre répertoire. J’ai chanté les rôles en pantalon de Donizetti, Smeton dans Anna Bolena, Maffio Orsini dans Lucrezia Borgia et aussi le rôle travesti d’Abenamet dans Zoraida di Granata au Donizetti Opera Festival de Bergame. L’opéra est très peu connu, c’est l’une de ses premières composition qui reste assez proche de Rossini. Donc pour l’instant, je me sens mieux en travesti et ce n’est pas parce que je suis italienne que je dois chanter tout le répertoire belcantiste ! (rires)

C’est assurément une idée de journaliste parce qu’on imagine de façon paresseuse que vous chanterez un jour ce répertoire… Bien évidemment, il y en a bien d’autres qui valent la peine comme tous les Mozart, et qui ne sont pas si faciles !

Oh oui ! J’ai chanté Sesto, Cherubino, Idamante et je pense à Dorabella dans Così fan tutte qui est sur scène tout le temps. C’est un opéra athlétique, dans les dernières productions que j’ai faites, nous courions partout ! Idamante qui est le plus aigu peut présenter des difficultés dès lors que l’on choisit un diapason à 415 ou 440 Hz, ce qui peut changer la vie même d’un chanteur !

Le choix du diapason peut avoir une influence sur la difficulté d’un rôle ?

Tout à fait, Haendel à 415 Hz, c’est un bonheur pour les cordes vocales, à 440, un cauchemar ! Et à Vienne, où le diapason peut être à 443 ou 445, Mozart devient très aigu. Cela change complètement la sensation vocale mais que ne ferait-on pas pour Mozart ?

Vous avez étudié la médecine. Est-ce que cela influence votre rapport à la voix ?

Cecilia Molinari © Alina Fejzo

Cela m’a surtout aidée à repérer les discours dangereux de certains professeurs sur la technique. Beaucoup de mythes circulent sur le diaphragme ou les muscles respiratoires. Mais je ne pense jamais au chant de façon anatomique. Sur scène, le corps est trop sollicité pour analyser muscle par muscle ce que vous faites. Bien sûr, vous devez entretenir votre forme physique et réfléchir à votre posture. La magie du spectacle vivant vous amène parfois à faire des choses que vous n’imaginiez même pas possible ! Vous êtes toujours dans le sentiment que vous voulez exprimer et c’est ce qui entraîne votre corps.

A propos de professeur, avez-vous un référent ?

Ma professeure du conservatoire, à Padoue, qui fut l’accompagnatrice de Lucia Valentini-Terrani, elle connaît ma voix depuis mes débuts et c’est maintenant l’une de mes meilleures amies. Quand je passe à Padoue, je ne manque pas de lui rendre visite.  Etant jeune, j’ai fait quelques masterclasses qui m’ont apporté beaucoup comme celle avec Sara Mingardo avec qui j’ai travaillé sur la fluidité des passages dans le registre de poitrine. Mais ce que je préfère, c’est le partage avec mes collègues chanteurs. Nous échangeons toujours des conseils ou des petites astuces et c’est vraiment précieux.

Rosina du Barbiere di Siviglia que vous avez souvent chanté, est-ce, pour l’instant, votre rôle signature ?

Je ne dirais pas ça. Je sais qu’elle est là et je suis heureuse de chanter le rôle quand on me le propose, mais je préfère encore de nouvelles productions pour explorer et découvrir d’autres facettes du personnage. Le défi, pour une mezzo, est de rester intéressante dans ce rôle sans les suraigus. Rossini ne les a pas écrits. Il faut donc convaincre autrement en particulier lorsque le public a Callas dans les oreilles avec ses variations incroyables !

Vous chantez dans les maisons les plus prestigieuses comme à Vienne ou à Berlin. Avez-vous des scènes de cœur ?

La Cenerentola (Cecilia Molinari) © De Nationale Opera Amsterdam 2019

J’adore Amsterdam où je reviens régulièrement maintenant depuis cinq ou six saisons. Je m’y suis fait de nombreuses relations alors c’est un peu comme retrouver des amis. J’ai aussi un lien particulier avec Vienne parce que c’est la ville préférée de ma maman. A chaque fois que j’y chante, j’ai l’impression d’accomplir son rêve. Et puis Paris, je suis amoureuse de cette ville. Et je suis sincère mais il est vrai que tous les théâtres ont leur particularité. Ce sont surtout les personnes et les rencontres qui vous laissent les bons souvenirs...

 A l’Opéra de Vienne, il peut être troublant de sauter dans une production sans répétition ?

Ce sont surtout celles avec l’orchestre qui peuvent manquer. Maintenant avec la vidéo, il est facile de réviser la mise en scène et d’ailleurs, nous faisons quelques répétitions scéniques mais, hélas, jamais avec l’orchestre qui connait déjà son répertoire par cœur. C’est la raison pour laquelle je n’y vais qu’avec des rôles que j’ai déjà interprétés ailleurs pour éviter le stress.

 Quand reviendrez-vous à Paris ?

C’est la question parce que je ne sais pas ! En revanche, les représentations d’Ariodante se sont si bien passées que l’Opéra national de Paris a dit qu’il souhaitait me faire revenir mais avec les fermetures des salles et les travaux à venir, je ne peux pas savoir. Je reste patiente car je sais que je vais revenir… un jour !

ARIODANTE 2025/2026 (Cecilia Molinari) © Guergana Damianova / OnP

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Propos recueillis le 17 octobre 2025

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