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Une véritable orgie au Festival George Enescu de Bucarest

Une véritable orgie au Festival George Enescu de Bucarest

Des chefs, des grands, des connus, une superbe cheffe et des découvertes, voilà ce qui fait la grandeur d’un festival. S’agissant de l’événement de Bucarest, le Festival George Enescu, même si la qualité est au rendez-vous, les surprises sont nombreuses. Explications…

Alex Amsel, Camerata Regală  © Petrica Tanase / Festival George Enescu

Entre découvertes et confirmations, les concerts s’enchainent à foison au Festival George Enescu de Bucarest où pas moins de dix-huit événements dont un opéra étaient au programme du 28 au 31 août 2025. A l’affiche de cette profusion de spectacles, les grands noms de la direction d’orchestre ont côtoyé de « nouveaux » chefs qui s’imposent de plus en plus sur la scène internationale. Ainsi, Daniel Harding, Santtu-Matias Rouvali, Marta Gardolińska ou encore Alex Amsel ont pu faire la démonstration de leur talent dans des programmes très variés. La grandeur d’un festival se mesure non seulement sur la taille de ses affiches mais également sur la qualité des œuvres jouées.

Après Rouvali et le rouleau-compresseur Chostakovitch, le silence ?

Santtu Matias Rouvali, PHILHARMONIA ORCHESTRA© Andrada Pavel  / Festival George Enescu

Le jeudi 28 août 2025, Sala Palatului, Santtu-Matias Rouvali a ouvert le bal avec un impressionnant concert Enescu et Chostakovitch. La Fantaisie pour piano et orchestre de l’emblématique compositeur roumain est sans doute anecdotique comparée aux grands concertos romantiques mais défendue avec conviction et une telle ardeur par Alexandra Dariescu, elle devient assez captivante. Comme c’est parfois le cas avec les concertos, loin de laisser faire son orchestre (l’excellent Philharmonia Orchestra) Rouvali étage le son comme un architecte qui construit l’œuvre avec son soliste. Après l’entracte, le chef qui ne s’embarrasse pas de saluts prolongés empoigne son ensemble pour attaquer rapidement une époustouflante 7ème symphonie de Chostakovitch. Les beautés instrumentales du Philharmonia Orchestra se font éclats dans un premier mouvement où les musiciens rivalisent de raffinement dans de nombreux solos. La maîtrise des instrumentistes se remarque du côté du piccolo qui gomme toute stridence, dans les pizzicatos virtuoses des violons ou encore dans la justesse des cuivres. La symphonie est surtout connue pour le thème entêtant de l’Allegretto et son amplification orchestrale implacable. Dès les premières notes, Rouvali terrasse l’auditoire qui sait déjà qu’il va être emporté très loin. Impressionnant dans une économie de gestes, le chef sait doser les forces de son orchestre pour mener à la déflagration, hallucinante. L’émotion, plus douce, naît également de la profondeur et de la beauté des phrases du dernier mouvement. Santtu-Matias Rouvali est assurément un très grand chef !

Après l’appel des London Voices Daniel Harding traverse la mer

Daniel Harding, Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia  © Maria Gindac / Festival George Enescu

Autre baguette renommée, Daniel Harding vient de prendre la direction du fabuleux Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia. Dans la même salle le 30 août, il a dirigé un impressionnant concert Berio et Debussy. Comme Ravel et Chostakovitch, Luciano Berio qui aurait eu 100 ans le 24 octobre est particulièrement dans l’actualité cette année 2025. L’occasion est parfaite pour redécouvrir les Folk Songs, brillamment interprétées par Magdalena Kožená (compte-rendu et critique : ici), et surtout la Sinfonia, œuvre exigeante mais la plus célèbre de son auteur. Harding est sans doute le meilleur pour maîtriser la déconstruction et l’éclatement du son. Entouré des London Voices, ensemble vocal spécialisé et vraiment parfait, il arrive à structurer cette musique et la rendre intelligible. La partie « In ruhig fliessender Bewegung » qui cite allègrement Mahler mais aussi Stravinsky, Ravel, Brahms et Schoenberg, représentative du style « collage », est un désordre maîtrisé qu’il rend parfois inquiétant. La Mer de Debussy, également citée dans la Sinfonia complétait judicieusement le programme. Les demi-teintes de l’orchestre annoncent une superbe interprétation. Harding est connu pour sa direction serrée et précise. Elle convainc dans le début de l’œuvre puis se fait plus étouffante ensuite, la grande phrase de Debussy manquant d’ampleur libératoire. Dans son interprétation analytique, la tension créée par le chef superpose superbement les atmosphères sans pour autant amener à l’explosion. Il n’empêche qu’avec ce son mordoré aux multiples reflets,  l’Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia s’impose comme l’une des meilleures formations italiennes d’aujourd’hui.  

Marta attise le feu de la passion Chopin en Rafał

Marta Gardolińska Sinfonia Varsovia  © Maria Gindac / Festival George Enescu

Rafał Blechacz, Marta Gardolińska, Sinfonia Varsovia © Maria Gindac / Festival George Enescu

Avec les affiches de grand prestige, de nombreux concerts méritent également l’attention comme celui du Sinfonia Varsovia dirigé par la jeune cheffe Marta Gardolińska. Le 31 août à la Sala Radio, à l’exception de Vox Maris de George Enescu, le programme était entièrement dédié aux compositeurs polonais. L’Ouverture de Grażyna Bacewicz a permis de découvrir et d’apprécier le travail de cette artiste inspirée. En revanche, Krzesany de Wojciech Kilar (décédé en 2013) a de quoi surprendre avec ce style montagnard qui ne fait pas dans la dentelle. La cheffe conduit avec aplomb et sans ciller cette œuvre étonnante jusqu’au final chaotique. La pièce la plus attendue était, bien évidemment, le premier concerto de Chopin interprété par Rafał Blechacz. Dans sa pleine maturité, le pianiste, connu pour avoir remporté le Concours Chopin en 2005, est l’évidence même dans ce chef-d’œuvre. Magnifiquement accompagné par Marta Gardolińska qui dramatise l’introduction avec intensité et déploie ensuite un tapis sonore d’une remarquable beauté, il excelle en toute simplicité. Il est des concerts où l’évidence se fait telle qu’elle pourrait se passer de commentaires. Grâce à l’infinie délicatesse du toucher, l’humilité d’un pianiste en état de grâce et le dialogue proposé par la cheffe et sa direction inspirée, le plaisir procuré par ces grands artistes fut immense. Avec les talents confirmés comme Rafał Blechacz, le Festival George Enescu a programmé un autre lauréat, Evgeny Konnov, qui a remporté le Concours George Enescu en 2024. Dans le célèbre Concerto pour piano et orchestre n° 1 de Tchaïkovsky, entendu le 30 août dans la salle Ateneul Român, le jeune artiste a fait preuve de maîtrise technique et de délicatesse dans une œuvre qui pourrait devenir facilement un support de démonstration. A la tête de la Camerata Regală, formation royale, le chef Alex Amsel s’est également fait remarquer avec sa direction fluide et inspirée, surtout dans Suite n° 3 d’Enescu, une belle découverte. En ouvrant large l’éventail des talents, le Festival George Enescu crée des enthousiasmes et attise le feu de la passion des mélomanes qui n’est pas prêt de s’éteindre.

ORCHESTRA  I CORUL FILARMONICII DE STAT „TRANSILVANIA” CLUJ NAPOCA © Anca Arambasa / Festival George Enescu

Nombreux éclats de voix au Festival Enescu de Bucarest

Nombreux éclats de voix au Festival Enescu de Bucarest