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Cendrillon mise à nu au Festspielhaus de Baden-Baden

Cendrillon mise à nu au Festspielhaus de Baden-Baden

Un festival permanent avec des affiches d’exception, nous sommes bien au Festspielhaus de Baden-Baden qui ressuscite les grandes figures du passé avec une Cenerentola pourtant dépouillée, aux personnages mis à nu. Explications…

La Cenerentola (Alice Rossi, Misha Kiria, Justyna Rapacz) © Michael Bode / Festspielhaus und Festspiele Baden-Baden gGmbH

Bien que charmante ville thermale d’un peu plus de 50.000 habitants, Baden-Baden possède une histoire musicale incroyablement riche. La capitale estivale mondaine a accueilli le grand Rossini et, Pauline Viardot, sa célèbre interprète, y a vécu quelque temps. Angelina de La Cenerentola ayant été l’un des rôles phare de la mezzo de légende, il paraissait plus qu’évident de réunir les deux illustres figures de l’art lyrique en mettant l’opéra à l’affiche du Festspielhaus, ce 16 novembre 2025. Et comme tout est prétexte à événement dans l’impressionnante salle de Baden-Baden, la plus grande d’Allemagne, un soin tout particulier a été apporté à la distribution portée par Thomas Hengelbrock à la tête de son Balthasar-Neumann-Ensemble. La version semi-scénique de Vincent Huguet, très fidèle, est venue agréablement illustrer le chef-d’œuvre.

Semi-scénique ne veut pas dire à demi travaillé

La Cenerentola (Balthasar-Neumann-Chor, Alice Rossi, Misha Kiria, Justyna Rapacz, Maria Kataeva) © Michael Bode / Festspielhaus und Festspiele Baden-Baden gGmbH

Qu’il est parfois agréable et reposant de n’avoir pas à se faire des nœuds au cerveau ! En suivant à la lettre l’histoire de La Cenerentola (Cendrillon en bon français), Vincent Huguet a choisi une voie saine et payante. Dans des décors dépouillés et réduits au minimum (deux canapés, une estrade et quelques lustres), il a fait preuve d’une belle intelligence scénique pour donner vie à ses personnages truculents, ainsi mis à nu. Même si le résultat paraît l’évidence même, il ne faut pas croire que le metteur en scène se soit laissé complètement porter. Les costumes de tous les jours mettent en valeur ceux, joliment conçus, de l’héroïne Angelina et de ses sœurs piailleuses. Charles de Vilmorin donne du léopard et du zèbre bien vulgaires pour elles et choisit la fluidité des plumes et la complexité des plissés pour Cendrillon. Le Prince charmant en jeans adopte une gestuelle de nos jours, ce qui participe à un décalage joyeux mais toujours respectueux. L’utilisation des artistes du chœur ne pose aucun problème à Huguet qui sait parfaitement les placer et les intégrer à l’histoire. Tous ces messieurs du Balthasar-Neumann-Chor (Rossini n’a pas retenu les voix féminines dans sa partition) évoluent naturellement avec une qualité de chant remarquable.

Levy tient et met tout le monde en lévitation

La Cenerentola (Levy Sekgapane, Maria Kataeva) © Michael Bode / Festspielhaus und Festspiele Baden-Baden gGmbH

Chaque saison, le Festival permanent proposé par le Festspielhaus de Baden-Baden permet au chef Thomas Hengelbrock de mettre en avant son chœur et le Balthasar-Neumann-Orchester lors du Festival d'automne intitulé « La grande gare » (en hommage à tous les artistes qui sont passés par l’ancienne station, devenue aujourd’hui cette impressionnante salle de spectacle). Le choix d’instruments historiquement informés est particulièrement pertinent dans cette acoustique car elle laisse entendre distinctement toutes les couleurs des pupitres et même les quelques approximations des cuivres. Lumières dans la salle encore allumées, le chef attaque l’ouverture avec une belle expressivité et, avant même le début de l’action, du théâtre qu’il insufflera jusqu’à la dernière note. Même si elle ne bénéficie pas de grande star -ou du moins pas encore- la distribution vocale est homogène jusque dans les plus petits rôles. Aussi ingrats que soient leurs personnages, Alice Rossi (Clorinda) et Justyna Rapacz (Tisbe) chantent de façon expressive avec des timbres moins acides qu’à l’accoutumée, ce qui permet aux ensembles de sonner toujours bel canto. Leur papa, Don Magnifico, est incarné par Misha Kiria, grand habitué aux rôles bouffe, avec de nombreux bons moments même si quelques phrases sont ânonnées et des vocalises savonnées. Côté cour du Prince, Edward Nelson est assez fringant dans le rôle du valet Dandini même si la voix semble parfois un peu petite et moins colorée que celle de ses camarades. Même dans ses courtes apparitions, Adolfo Corrado, dans le rôle du précepteur Alidoro, impose sa belle voix de basse avec une présence et des moyens certains. Le plus connu de tous, Levy Sekgapane, est en train de devenir le grand ténor léger de sa génération. Tout est en place, les suraigus, les vocalises, la prestance et surtout l’intelligence à la fois scénique et vocale. En grand prince Don Ramiro, Sekgapane n’est jamais dans la démonstration pyrotechnique narcissique même s’il lance un incroyable aigu qu’il tient jusqu’à l’exploit. À l’instar de son partenaire et de l’ensemble de la distribution, elle possède un style rossinien soigné, sublimé ici par la direction d’Hengelbrock. Maria Kataeva possède un timbre sombre qui sied à Angelina, plus connue comme Cenerentola (et encore plus comme Cendrillon !). À défaut d’être spectaculaire avec des aigus pétaradants, la mezzo mène intelligemment sa partie en apportant de nombreuses couleurs et de jolies nuances tout en maîtrisant l’art de la vocalise. Comme le public qui leur a réservé une ovation debout, les fantômes de Pauline Viardot et de Rossini auraient sans doute été ravis de la prestation de leurs collègues de 2025 dans ce Baden-Baden intemporel mais bien de notre temps.

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