Faust en tenue d’Adam à l’Opéra de Liège
Depuis que Stefano Pace dirige l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, la Belgique est le nouvel El Dorado des mélomanes avec des propositions lyriques qui suscitent l’intérêt. Pourtant avec ce nouveau Faust, le plomb côtoie l’or. Explications…
Tandis qu’à Paris, l’Opéra-Comique a choisi de clore la saison dernière avec le chef-d’œuvre de Gounod, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège lance glorieusement 2025-2026 avec un autre Faust. L’opéra étant une véritable machine à tubes, il est heureux de jouir de cette profusion d’affiches avec une nouvelle production. Stefano Pace et Giampaolo Bisanti, le directeur général et le directeur artistique de la dynamique institution belge se sont donné les moyens de la réussite avec une distribution internationale de très haute volée. Très attendues ce dimanche 14 septembre 2025, les grandes voix étaient bien au rendez-vous, avec cependant des succès variés dans une mise en scène de Thaddeus Strassberger pas toujours très lisible.
“Lorem ipsum dolor sit amet” mais que dit-il au juste ?
Dans un décor assez somptueux et des effets de lumière rappelant les images du cinéaste britannique Peter Greenaway, la première scène donne le ton d’une production esthétique. Faust vieillard se déshabille avant de plonger dans une baignoire antique en porphyre au beau milieu d’une bibliothèque aux panneaux en marqueterie. Avec l’allégorie de la mort qui traverse le plateau et l’apparition de Méphistophélès tenant à la main ses ailes d’ange récemment amputées, Thaddeus Strassberger ouvre son livre d’images symboliques qui accompagnera le récit. Pêle-mêle, on y croisera un tableau vivant d’Adam et Eve (sans la nudité), une tête de bouc géante, un temple de la science et beaucoup de mots en latin. Sans être tout à fait indigeste, cet amoncellement permet une belle photographie mais laisse un goût d’inabouti, la réflexion ne semblant pas mener bien loin même après la lecture des intentions du metteur en scène dans le livret de salle. Le reproche que l’on peut faire à Strassberger qui signe mise en scène, décors et lumières, est d’avoir laissé le théâtre au second plan. Méphistophélès est un personnage à la fois terrifiant et très drôle, dès lors qu’on lui offre des scènes de comédie. Suggérer qu’il soit un ange déchu, double de Lucifer, n’apporte pas grand-chose à l’histoire inspirée de Goethe. L’idée frise même le contre-sens lorsqu’à la toute fin, il récupère ses ailes et semble monter au ciel à la place de Marguerite. Avec un prestigieux plateau vocal à sa disposition, le metteur en scène avait pourtant de sacrés comédiens.
Le veau d’or est toujours debout, il vole même de ses propres ailes !
Connu pour son abattage, Erwin Schrott n’a pas grand-chose à défendre et l’homme de scène paraît même s’étioler. Alors qu’il promène le rôle de Méphistophélès un peu partout sur les scènes internationales, il a pris de mauvaises habitudes de diction qui le desservent ici, devant un public francophone. En fin technicien, la célèbre basse contourne les difficultés de la partition sans toutefois faire jaillir l’étincelle vocale qui ferait résonner le texte. Dans un français tout aussi approximatif, Nino Machaidze sait cependant incarner les mots de son personnage qu’elle défend avec un réel engagement. Elle possède le format vocal de Marguerite, ce qui vaut d’ailleurs pour l’ensemble du plateau, y compris les petits rôles. Alors qu’il n’a qu’une phrase, Ivan Thirion se fait facilement remarquer en Wagner tandis que Julie Bailly fait regretter la brièveté du rôle de Marthe. La mezzo possède un timbre marqué et une belle intelligence scénique. En Siebel, l’autre mezzo de Faust est un nom à retenir car Elmina Hasan (lauréate de nombreux prix) possède une musicalité et une belle homogénéité sur toute la tessiture et provoque tout simplement l’enchantement. Il est heureux de retrouver Markus Werba dans le rôle de Valentin qui lui va très bien et qu’il incarne avec naturel. Quant à Faust, il a beau être le rôle-titre, il se fait souvent voler la vedette par ses camarades de jeu parce qu’il n’a pas grand-chose à exprimer, et pourtant… Lorsque John Osborn entre en scène, tout s’arrête ! Le ténor qui possède une diction miraculeuse est magnifique de bout en bout avec des aigus clairs et un suraigu jamais forcé dans une ligne de chant exemplaire. Même s’il a accusé une légère fatigue à la toute fin, sa prestation vaudrait presque à elle seule le déplacement à Liège où on a la science des distributions réussies. Il faut également saluer le chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège qui a fait preuve de force et de raffinement tout comme l’orchestre. Giampaolo Bisanti confirme tout le bien que l’on pense de lui avec une direction attentive et réfléchie. Le chef possède assurément un métier et surtout la maîtrise de son sujet, qualité qui aura peut-être manqué à la mise en scène à demi réussie. Grâce aux voix, le plomb a été transformé en or à Liège !