L’entente franco-suisse de Gstaad se fait avec plein de Bizet
Avant-dernière semaine de Festival à Gstaad et encore des concerts exceptionnels ! C’est que le directeur artistique a l’habitude de choyer ses festivaliers même avec des événements attendus comme les célébrations. Avec Bizet, prends garde à toi ?
Placée sous le signe du changement et plus particulièrement de la migration dans la musique, la saison 2025 du Gstaad Menuhin Festival & Academy marque la fin du mandat de Christoph Müller, directeur artistique de l’un des plus prestigieux festivals au monde depuis 24 ans. Une série de concerts regroupés sous le titre « Nostalgia » permet de penser la musique comme « souvenir de la patrie et du temps passé ». Avec Bizet défendu par Les Musiciens du Louvre sous la tente du Festival de Gstaad, le 23 août 2025, sur ce sentiment bien connu… le critique n'hésite pas à apposer le nom, le beau nom grave non pas de tristesse mais de réjouissance ! car Marc Minkowski entouré de deux artistes de rêve (Marina Viotti et Cyrille Dubois) a réussi à faire de la célébration convenue, une fête. Georges Bizet est mort il y a 150 ans, le 3 juin 1875, et pourtant, grâce à la fougue et à l’excellence des artistes, sa musique est plus vivante que jamais.
L’Arlésienne de Bizet aperçue en pleine forme à Gstaad
Les mélomanes qui pensent encore que Les Musiciens du Louvre ne jouent que Rameau, Haendel et Offenbach et que Marc Minkowski est un chef taciturne auraient été bien surpris par la tenue du concert. Après une courte pièce extraite des Jeux d’enfants, il s’est adressé au public en anglais, allemand puis uniquement en français pour leur raconter le programme de la soirée. Avec beaucoup de légèreté et un sens de l’humour qu’on ne lui connaissait pas vraiment, il jouera, irrésistible, avec ses deux chanteurs et les festivaliers. Pour rendre hommage au célèbre compositeur de Carmen, l’un des opéras les plus distribués dans le monde, le chef a choisi des extraits d’opéra, La Jolie Fille de Perth, Les Pêcheurs de perles, Djamileh et bien évidemment Carmen entremêlés de pièces issues des Jeux d'enfants. Dans la deuxième partie, les deux suites symphoniques de L'Arlésienne seront agrémentées en bis par le retour des chanteurs dans un endiablé « remparts de Séville ». Malicieux, Minkowski annonce ensuite vouloir jouer l’opéra Carmen en entier et, de fait, grâce à la Carmen Quadrille d’Eduard Strauss (le frère de Johann Strauss II), ce sont bien tous les tubes que l’on a entendus, déchainés, en un peu moins de 5 minutes ! La légèreté et la décontraction affichée de l’ensemble des artistes n’empêche pas d’admirer un travail remarquable. Le chef sait comme nul autre insuffler une pulsation qui sera l’ossature de sa direction pour ensuite nuancer jusqu’à l’infime un son sculpté par ce Praxitèle de la musique classique.
Un chef qui ne laisse pas de marbre ni Dubois !
Marc Minkowski n’oublie jamais le théâtre en appuyant parfois certaines phrases pour mieux faire exploser les autres. Grâce à la maîtrise des musiciens qui savent « alléger » à la perfection, les pianississimos de l’Adagietto de la Suite No. 1 étirées laissent en lévitation et même si on peut noter de petites lourdeurs dans La Pastorale, l’ensemble ira crescendo jusqu’à la Farandole finale enflammée, qui fera lever les festivaliers conquis. Chef symphonique mais également redoutable accompagnateur, Marc Minkowski sait mettre en valeur ses chanteurs sans pour autant laisser son orchestre en retrait. Dès son premier air donné avec le récitatif, Cyrille Dubois captive le public du Festival de Gstaad pas encore familier de l’art de la nuance du ténor français. La diction admirable permet non seulement de goûter chaque mot mais de ressentir jusqu’au frisson le désarroi du héros de La Jolie Fille de Perth. Orchestre et voix forment un duo de toute beauté dans la romance de Nadir extraite des Pêcheurs de perles avec un aigu en voix de tête que le ténor maîtrise à la perfection. La surprise viendra d’un autre tube de l’opéra avec l’air de la fleur de Don José chanté comme une mélodie avec une intelligence du texte rarement rencontrée sur scène. Dans les autres extraits de Carmen, touchant, Cyrille Dubois manque encore d’immédiateté dramatique mais pour une première incursion, c’est une indéniable réussite ! La mezzo franco-suisse Marina Viotti, appréciée des publics parisiens, bernois et vaudois, connait sa Carmen qu’elle incarne avec personnalité. Le timbre envoutant ajoute à l’interprétation sexy servie par des petits jeux de scène amusants. La bonne idée aura été de proposer l’air de Djamileh, rôle-titre de l'opéra composé juste avant Carmen rarement entendu où la mezzo s’affirme sans peine même si, comparée à son partenaire, la diction reste perfectible. Il n’est pas étonnant que Norma proposé la veille ait fait salle comble avec sa distribution cinq étoiles et pourtant, le concert Bizet du Gstaad Menuhin Festival & Academy lui, n’a appelé aucune réserve. Dans un esprit de fête, de luxe et de bonheur, il est temps de dire au revoir à Christoph Müller et surtout merci pour nous avoir gâtés avec ces événements qui resteront longtemps dans les mémoires.