Norma à Gstaad, une affaire de famille !
Seuls les grands festivals, comme le Gstaad Menuhin Festival & Academy en Suisse, sont capables de réunir de telles distributions. La Norma de Bellini a largement conquis son public et pourtant un peu moins la critique. Explications…
Même si toutes les éditions du Gstaad Menuhin Festival & Academy flirtent toujours avec les sommets de l’excellence, un parfum particulier est venu imprégner le grand air des montagnes suisses. La saison estivale 2025 de Gstaad, célèbre lieu de villégiature et de musique classique, restera marquée par le passage de relais d’un directeur artistique à l’autre. Est-ce parce qu’il s’agissait de la dernière saison de Christoph Müller, après 24 ans à la tête du festival ? l’affiche proposée le 22 août 2025 avait de faux airs de gala du Metropolitan Opera ou de l’une des plus illustres maisons d’opéra internationales. En réunissant l’une des plus belles distributions possible pour une version de concert de la Norma de Bellini, Müller a réjoui les festivaliers sans toutefois pleinement convaincre la critique.
Dans la famille lyrique, je demande le frère, la sœur et son mari !
Sonya Yoncheva est actuellement une des sopranos les plus en vue mais est-elle pour autant une Norma ? Le rôle réputé difficile ayant été marqué à tout jamais par Callas, chaque nouvelle interprète qui se frotte à la partition fait forcément débat avant que les mélomanes n’atteignent le point Godwin de l’art lyrique : On ne fera jamais aussi bien que la Divina ! Le « Casta Diva » au tempo un peu rapide donne l’impression que la Yoncheva cherche à se débarrasser de ce tube de l’opéra pour passer au plus vite à la suite. Même si dans la cabalette, la vocalise est nette et bien exécutée, les notes aiguës filées manquent pour déclencher l’extase attendue. Le timbre de la soprano est onctueux mais les nuances se font trop rares pour décerner les lauriers de belcantiste à cette artiste acclamée. Il faudra attendre le deuxième acte et les dernières scènes plus véhémentes pour qu’elle donne tout. Ainsi déchaînée et lâchant les décibels, Sonya Yoncheva est enfin à son meilleur dans la vengeance froide avec la beauté du désespoir, incarnée, poignante. A la tête du Gstaad Festival Orchestra, solide et de très haut niveau, Domingo Hindoyan apporte tout le soutien orchestral à son épouse à la ville comme à l’ensemble du plateau vocal. Toujours attentif, il permet à chacun d’exister comme Kristine Klein dans le court rôle de Clotilde ou encore Marin Yonchev (Flavio), le propre frère de Sonya Yoncheva.
Karine Deshayes à son apogée, une fois de plus !
Ștefan Pop est sans doute un choix raisonnable pour Pollione, rôle à la tessiture assassine. Vaillant, il affronte les difficultés de la partition et s’en tire plutôt bien même si, avec des sons très ouverts, le chant du ténor n’est pas des plus raffinés. L’Oroveso d’Alexander Vinogradov est une évidence lorsque l’on sait qu’il a abordé le rôle pour la première fois à 21 ans. Voix d’airain et technique éprouvée, la basse sonore, parfaitement convaincant, marque chacune de ses interventions comme le Chor der Bühnen Berne, tout à fait en place. Il suffit d’une phrase à Karine Deshayes pour s’imposer en Adalgisa. Frémissante, la mezzo possède la maîtrise du style belcantiste où elle atteint sans doute ici la perfection. La grande justesse, les magnifiques nuances, l’aigu impressionnant, la virtuosité et les vocalises stupéfiantes et surtout une incroyable simplicité, tout concourt à rendre les mélomanes béats d’admiration ! Il faut également citer la beauté du timbre qui se marie idéalement avec celui de Sonya Yoncheva. Leurs duos sont indéniablement les temps forts de cette très belle soirée avec un superbe « Mira, o Norma » surtout dans la cabalette génialement virtuose. L’alchimie fonctionne entre ces deux grandes artistes dans la version de concert mise en espace. Même si l’entrée de Norma qui porte deux bougies suivie d’Adalgisa et Clotilde est assez basique et permet à la diva d’exhiber sa première robe (elle en changera plusieurs fois au cours de la soirée), il est agréable de profiter du surtitrage et de ces mouvements de scène préférables au statisme obligé des chanteurs devant leur pupitre. « Sans critique il n'est point d'éloge flatteur » et malgré les critiques relevées ici ou là, il faut applaudir et remercier chaleureusement Christoph Müller de nous avoir proposé une soirée digne d’un des meilleurs festivals internationaux.