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Faust transformé en Comique à la Salle Favart

Faust transformé en Comique à la Salle Favart

La saison parisienne se termine avec un événement à la Salle Favart. Le Faust de Gounod, le chef-d’œuvre absolu du répertoire français est présenté dans une version différente. Les mélomanes s’y retrouveront-ils ? Réponse…

10/ Julien Dran (Dr Faust), Jérôme Boutillier (Méphistophélès), chœur de l’Opéra de Lille © Stefan Brion

Personne n’a oublié le concert du 14 juin 2018 au Théâtre des Champs-Elysées et surtout pas Caroline Sonrier et Louis Langrée. Dans le cadre du Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, les mélomanes ont découvert la première version du Faust de Gounod de 1859 avec dialogues parlés. Avec la sortie CD qui a suivi, convaincus, la directrice de l’Opéra de Lille et le directeur de l’Opéra-Comique ont eu la bonne idée de transformer l’essai en production scénique. Créée à Lille en mai dernier, la mise en scène de Denis Podalydès vient de débarquer à Paris, Salle Favart, exauçant ainsi les vœux des musicologues et des spectateurs avertis. Le 21 juin 2025, soir de première et de fête de la musique, ils ont côtoyé les anges purs et les anges radieux.

La Comédie-Française à l’attaque d’un sommet de l’opéra

6/ Vannina Santoni (Marguerite), Alexis Debieuvre (comédien) © Stefan Brion

Sous la plume experte d’Agnès Terrier, l’excellent programme de salle nous rappelle les nombreuses péripéties de la création du chef-d’œuvre de Gounod. Prévu pour le Théâtre-Lyrique (avec l’Académie impériale de musique et l’Opéra-Comique, la troisième salle officielle, soumise à moins de contraintes pour les compositeurs) Faust a connu de très nombreuses coupes et remaniements avant de passer à la version grand opéra, celle qui est jouée un peu partout dans le monde depuis 1869. En changeant de salle, le chef-d’œuvre s’est figé mais est devenu un terrain de jeu pour les musicologues comme Gérard Condé, Paul Prévost et les équipes du Palazzetto Bru Zane. Il faut dire que Léon Carvalho, le célèbre et puissant directeur du Lyrique, a plus que supervisé le projet d’un Gounod qui n’avait pas encore connu de succès, en coupant ici, refaisant faire là, inversant les scènes, etc. Pour s’approcher au mieux de la version originale, des choix ont été faits dans un matériau inépuisable (une partition inédite aurait même été récemment redécouverte) mais l’idée de génie a été de faire appel à une équipe rompue à l’art dramatique avec une distribution vocale ad hoc. Les noms de Denis Podalydès (mise en scène) et d’Éric Ruf (scénographie) évoquent le meilleur de la Comédie-Française. Avec Christian Lacroix aux costumes, l’équipe propose de vrais et grands moments de théâtre, une parfaite réussite.

Un lion dans la fosse dans les fumées démoniaques

4/ Vannina Santoni (Marguerite), Julien Dran (Dr Faust) © Stefan Brion

Podalydès n’escamote jamais les difficultés comme on le voit bien souvent dans les productions actuelles. La transformation du Faust vieillard en jeune homme a bien lieu. Les fleurs se fanent en effet dans les mains de Siebel, l’amoureux éconduit de Marguerite grâce à une idée de mise en scène pertinente. Sur scène, les habitués seront surpris de voir l’enfant de Marguerite et particulièrement émus lorsqu’ils assisteront à son assassinat, tout en pudeur. Chaque chanteur est traité comme un acteur à l’image de Jérôme Boutillier, Méphistophélès souverain. Roublard à souhait, le baryton qui mène une carrière exemplaire explose dans ce rôle où il fait preuve d’un sens comique aigu et d’un abattage rare. Ricanant dans le nuage de fumée de sa pipe qui sent les enfers (encore une bonne idée de Podalydès), il théâtralise son chant parfaitement dominé sans jamais céder à l’histrionisme. Julien Dran s’impose à ses côtés sans aucun problème dans une incarnation vocale du Faust très franche et diablement volontaire. Ce contre-ut tenu, une belle vaillance et la clarté de la diction en font l’un des très bons tenants du rôle-titre. Comme lui, chacun des interprètes (tous francophones) a l’intelligence du style comme Lionel Lhote. Le baryton dont on ne cesse de vanter les mérites incarne un Valentin à la fois mûr et délicat. Son ami Siebel a les traits de Juliette Mey. La mezzo lauréate des Voix Nouvelles est convaincante en amoureux éconduit même si l’on aurait apprécié plus de couleurs dans la voix. Marguerite qui tricote derrière son rouet trouve en Vannina Santoni une interprète sensible et sans aucun doute, la plus belle incarnation actuelle d’un rôle dramatiquement et vocalement exigeant. La soprano réussit à garder l’intelligence du jeu dans l’air des bijoux, éclairée par les reflets de miroirs tendus par les suppôts de Méphistophélès. Il convient de citer la truculente Dame Marthe de Marie Lenormand et surtout Anas Séguin (Wagner) qui a enfin des choses à chanter et qui le fait très bien ! La parfaite réussite de ce très grand spectacle vient également de l’engagement dramatique de l’Orchestre National de Lille et du chœur de l’Opéra de Lille, impressionnant de puissance sonore et de clarté avec une diction exemplaire. À la direction musicale, Louis Langrée semble avoir mangé du lion tant sa fougue est contagieuse. Le chef qui n’avait jamais dirigé le chef-d’œuvre ose quelques effets, une dramatisation théâtrale et des couleurs sans oublier la délicatesse d’une musique sublimée par sa baguette. D’une durée de 4 heures, le spectacle passe comme un charme tant il est ensorcelant !

Avec des rossiniens, Saint-Denis exhorte au premier devoir de Mozart !

Avec des rossiniens, Saint-Denis exhorte au premier devoir de Mozart !