Drame à Dresde : Roméo cherche sa Juliette et Gounod, sa partition
Pour tous les mélomanes, Dresde est une destination incontournable grâce à la richesse de sa programmation. Le Semperoper, temple du lyrique en Allemagne, rencontre des difficultés avec le grand répertoire français. Explications…
Shakespeare, le plus British des grands écrivains a placé l’histoire de Roméo et Juliette à Vérone, magnifique ville italienne bordée par l’Adige. Le 16 mai 2025, c’est sur les rives de l’Elbe, au Semperoper de Dresde, le joyau culturel de l’Allemagne, que l’opéra de Gounod a été donné dans une nouvelle production signée Barbara Wysocka. Les chefs-d’œuvre, comme celui du compositeur français, n’ayant pas de frontières, il est normal qu’une maison d’opéra aussi importante programme les grands ouvrages du répertoire international. Avec ses attentes et son exigence, un public de fin connaisseur français appréciera différemment le style, et surtout la prosodie, qui fait partie de son patrimoine. Sans démériter, la production proposée à Dresde n’a pas convaincu les francophones présents dans la salle, malheureusement…
Roméo ! pourquoi es-tu Roméo et Juliette en version internationale ?
L’écriture vocale de la Juliette de Gounod est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Même si les vocalises de la célèbre valse « Je veux vivre » réclament agilité, légèreté et surtout contrôle de l’aigu, l’évolution du rôle pousse la partition vers une tension dramatique qui requiert un grand lyrisme. La soprano Tuuli Takala qui s’est fait connaître avec La Reine de la nuit tombe à peu près dans tous les pièges tendus par Gounod. Des décalages dans ses grands airs, un manque de précision et des aigus mal négociés ne sont jamais rattrapés par une prononciation des plus approximatives. Kang Wang possède une réelle présence scénique en Roméo mais la prestation vocale n’est pas non plus exempte de défauts, hélas ! Doté d’un timbre sombre qui sied plutôt bien au jeune héros, Wang exhibe ses moyens vocaux pour plaire au public mais quelques accidents devraient lui rappeler qu’il n’y a pas que l’aigu dans la vie, surtout dans Roméo et Juliette. Dans "Ah ! lève-toi, soleil !" chanté à pleins poumons, la voix détimbre dès que le ténor s’essaie aux nuances. Crime de lèse-majesté, le dramatique « Salut ! Tombeau sombre et silencieux » se transforme en air d’opéra italien avec coups de glotte et port de voix complètement hors de propos.
Valerie Eickhoff, le Stéphano qui sauve Roméo et Juliette
Chacun cherche son style à commencer par le routinier chef Robert Jindra. Lorsque l’on a en fosse à disposition un orchestre aussi superlatif que la Sächsische Staatskapelle Dresden, il est dommage d’en faire si peu. La direction est correcte mais toutes les occasions manquées d’une nuance ici, d’un contraste là, font regretter le manque d’engagement dramatique et le raffinement d’une musique magnifique. Même si le français n’est clairement pas la langue maternelle du Sächsischer Staatsopernchor Dresden, les choristes sont tout de même assez remarquables avec une belle homogénéité qui se rencontrent trop rarement sur les scènes des grandes maisons d’opéra dans le monde. La langue de Molière a été sérieusement chahutée ce soir au Semperoper car malgré quelques exceptions notables, il était quasiment impossible de comprendre ce qui se disait. Il convient de citer Oleksandr Pushniak avec l’autorité attendue dans Capulet, Gerrit Illenberger Pâris remarqué, Brian Michael Moore, Tybalt à l’aigu facile et Michal Doron une Gertrude que l’on comprend. Passons en revanche sur le Mercutio de Danylo Matviienko qui n’aurait pas passé le premier round d’un concours de chant avec une ballade sans relief de la Reine Mab, incompréhensible, pour saluer les prestations de Georg Zeppenfeld et de Valerie Eickhoff. La basse allemande s’impose avec panache en Frère Laurent très convaincant comme la jeune mezzo dans le rôle travesti de Stéphano. En troupe à l’Opéra de Dresde, elle incarne son personnage avec une belle pertinence dans une partition vocale qu’elle survole avec talent. Elle offre l’un des rares moments de théâtre de la soirée. La mise en scène grise et passe-partout de Barbara Wysocka a pour atout d’être lisible mais pour inconvénient de passer complètement à côté de l’émotion. Dans un tel chef-d’œuvre, c’est vraiment dommage !