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La Damnation de l’ennui au Théâtre des Champs-Élysées

La Damnation de l’ennui au Théâtre des Champs-Élysées

Véritable machine à tubes, La Damnation de Faust de Berlioz reste une œuvre difficile à mettre en scène. Avec un ténor superstar à l’affiche, le Théâtre des Champs-Élysées a réuni quelques atouts pour réussir sa nouvelle production. Ont-ils été suffisants ?

La Damnation de Faust (Victoria Karkacheva, Benjamin Bernheim) © Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Élysées

Œuvre hybride, La Damnation de Faust de Berlioz qui oscille entre grand opéra et poème symphonique pose de nombreuses questions à tout metteur en scène qui ose l’aborder. Il y a dix ans, l’Opéra national de Paris a connu l’un de ses plus gros ratages avec la production d’Alvis Hermanis pourtant programmée autour de Jonas Kaufmann. En 2025, le ténor le plus attendu dans le rôle de Faust se nomme Benjamin Bernheim. Ce 4 novembre, l’artiste a offert sa prise de rôle au public du Théâtre des Champs-Élysées, rare satisfaction au cours d’une soirée dominée par l’ennui. Supplice de Faust ou Damnation éternelle, le travail de Silvia Costa n’a pas convaincu.

Faust aux diapos, Marguerite au tison font une drôle de cuisine

La Damnation de Faust (Benjamin Bernheim) © Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Élysées

Lors de la présentation de la saison 2025-2026 du Théâtre des Champs-Élysées, l’annonce d’une nouvelle Damnation de Faust a créé la sensation. Après la première française de son Werther, le vénérable théâtre de l’avenue Montaigne allait accueillir la prise de rôle de l’éblouissant Benjamin Bernheim en Faust de Berlioz, la présence des Siècles dans la fosse ajoutant au prestige d’une distribution événement. La seule inconnue restait la mise en scène confiée à Silvia Costa. Les spectateurs de l’Opéra-Comique qui ont vu L’autre voyage en 2024, collage autour d’arias de Schubert dirigé par Raphaël Pichon, se souviennent d’un spectacle patchwork qui a laissé un goût d’inabouti. Même si certaines images pouvaient y sembler poétiques, l’esthétique du banal de la metteuse en scène (également créditée à la scénographie et aux costumes) ne marche pas pour illustrer la légende et surtout pour traduire l’esprit romantique du Faust de Goethe et de Berlioz. Sur scène pauvrement éclairée, le personnage mythique s’entortille dans son lit recouvert de peluches d’enfant dans un intérieur prosaïque, entre gazinière et meuble où trône un projecteur. Aussi long qu’une soirée diapo, l’ennui s’installe en même temps que le deuil que devront faire les mélomanes car il n’y aura pas de théâtre ce soir ! Livrés à eux-mêmes, les chanteurs gesticulent tantôt frénétiquement (Faust qui au lieu de ranger sa chambre envoie tout balader), tantôt mécaniquement (Marguerite touille à vide dans une casserole avant de mettre sa tête dans le four) sans jamais incarner une histoire. Une idée jaillit au changement de décor dans une deuxième partie où les protagonistes se retrouvent devant une cour de justice. Le procès de Marguerite, Faust et Méphistophélès aurait pu susciter un intérêt mais il est trop tard pour développer une mise en scène définitivement plate et peu inspirée.

Pour les siècles et les Siècles, la Damnation n’épargne personne

La Damnation de Faust (Benjamin Bernheim) © Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Élysées

Vaillant, Benjamin Bernheim se débat comme un beau diable pour donner de l’épaisseur à ce personnage qu’il connaît déjà pour l’avoir abordé chez Gounod. Alors que le format vocal exigé par Berlioz représente un défi pour le ténor, cette production ne l’aide jamais à poser l’accent romantique sur les mots de Goethe dans cet autre Faust. Fort heureusement, la voix est là et surtout la technique qui lui permet de maîtriser la tessiture avec des aigus en voix de tête admirablement négociés. Souvent prudent et parfois même un brin corseté, Bernheim n’apporte pas encore l’extase dans le grand air « Nature immense » mais pour une première, il convainc aisément. Dotée d’une voix opulente et d’un timbre joliment homogène, Victoria Karkacheva a, au cours de sa jeune carrière, déjà rencontré le rôle de Marguerite qu’elle chante sans réelle profondeur interprétative. « D’amour, l’ardente flamme » est agréable mais manque de nuances et de véritable abandon. Le sens des mots échappe plus encore à Christian Van Horn, Méphistophélès tonitruant mais complètement dénué de psychologie dans un français trop approximatif. Pourtant, son personnage est sans doute le seul à peu près respecté par la mise en scène contrairement au rôle de Brander, certes secondaire. Parfait baryton, Thomas Dolié est un luxe dans cette production mais, desservi par un costume ridicule, il passe complètement inaperçu, un comble ! De nombreux décalages avec l’orchestre chahutent les interventions du Chœur de Radio France, peu à son avantage. Les Siècles est un choix pertinent pour Berlioz, l’orchestre étant l’une des formations historiquement informées des plus captivantes. Malgré les grandes qualités des musiciens et des sonorités marquées, la direction de Jakob Lehmann, jeune chef prometteur, peine cependant à trouver l’équilibre entre tradition et originalité. Certains tempos étonnent tandis que les pages les plus attendues semblent parfois survolées avec une désinvolture séduisante ou agaçante, c’est selon... Les soirées parisiennes se suivent mais ne se ressemblent pas. Après une exceptionnelle Iphigénie en Tauride à l’Opéra-Comique, La Damnation de Faust du Théâtre des Champs-Élysées, minée par sa mise en scène, est une déception d’autant plus grande que le spectacle était l’un des rendez-vous les plus attendus de la saison.

La Damnation de Faust (Victoria Karkacheva, Les Siècles, Chœur de Radio France, Jakob Lehmann) © Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Élysées

Prochainement au TCE
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