Magistrale Asmik Grigorian à l’Opéra de Paris, enfin !
Les grandes sopranos se comptant sur les doigts d’une main, les mélomanes parisiens attendaient depuis longtemps les débuts scéniques (reportés pour cause de Covid) d’Asmik Grigorian à Bastille, tout simplement magistrale ! Explications…
Conçus comme un tout, Il Tabarro, Suor Angelica et Gianni Schicchi sont souvent à l’affiche mais assez rarement représentés ensemble. Pourtant, les trois ouvrages qui composent Il trittico de Giacomo Puccini possèdent une logique dramatique qu’a bien compris le metteur en scène Christof Loy. Après Salzbourg où elle a été créée en 2022, sa production est à l’affiche de l’Opéra national de Paris dans un ordre choisi. Même si Puccini souhaitait terminer par une touche plus gaie avec la farce florentine Gianni Schicchi, Loy a préféré le dramatique Suor Angelica pour suivre une cohérence fondée sur le parcours intérieur des figures féminines. Il faut dire qu’avec Asmik Grigorian qui incarne les trois rôles, il dispose d’une interprète exceptionnelle qui, ce 6 mai 2025, a fait lever tout l’Opéra Bastille.
Asmik Grigorian casse la baraque trois fois de suite !
Même si les mélomanes connaissent déjà le phénomène Asmik Grigorian, il est très rare qu’une artiste soit en tout point convaincante dans trois rôles aussi différents que Lauretta, la jeune fille amoureuse, Giorgetta, la femme adultère et Suor Angelica, la sacrifiée. Vocalement, peu d’interprètes sont capables de courir ce marathon. Les grandes sopranos ayant marqué les trois opéras d’Il trittico se comptent d’ailleurs sur les doigts d’une main. Grigorian possède le ton léger et juvénile qui convient à Lauretta. La tessiture plus dramatique de Giorgetta qui sollicite surtout le médium est affrontée avec une homogénéité parfaite tandis que le lyrisme pur et poignant d’Angelica est ponctué d’aigus solaires aux pianissimos déchirants. Pour la soprano lituanienne, on ne pouvait rêver meilleurs débuts dans un opéra mis en scène à l'Opéra national de Paris, tant son incarnation fera date. Asmik Grigorian est une actrice fascinante capable de construire un personnage « simple » comme celui de Lauretta en y apportant une profondeur psychologique rare et inattendue. La célébrissime aria « O mio babbino caro » est chanté de façon exemplaire sans aucune minauderie : un véritable exploit ! Le jeu naturel de la soprano touche au réalisme avec Giorgetta tandis que dans Suor Angelica, elle arrache les larmes. Aux côtés de Mimí ou de Liu, la fille-mère qui expie ses péchés au couvent est de loin la plus bouleversante des héroïnes sacrifiées de Puccini. Absolument magistrale, Asmik Grigorian émeut au-delà du dicible.
Christof Loy, un grand petit nouveau à l’Opéra national de Paris
Après le grand succès de son Werther au Théâtre des Champs-Elysées, Christof Loy est assurément le metteur en scène idéal capable de se fondre dans l’œuvre pour y apporter le théâtre attendu. Les décors sobres servent de support au jeu des acteurs chanteurs assez poussé. Les mouvements fluides sont travaillés pour permettre à chaque personnage de Gianni Schicchi d’exister individuellement. Seule la multiplication de figurants dans Il Tabarro appelle quelques réserves mais dès lors que les trois héros se retrouvent confrontés, le drame se noue encore plus intensément. Loy qui respecte le texte à la lettre peut compter sur un plateau vocal presque identique à celui de Salzbourg. Déjà dans leur rôle, tous excellent comme dans une troupe à commencer par le charismatique Gianni Schicchi de Misha Kiria. Même si la voix déborde parfois de décibels, l’incarnation est truculente et contraste avec celle, tout en retenue, de l’inquiétant Roman Burdenko (Michele le mari trompé de Tabarro). Les barytons sont bien répartis comme l’ensemble d’une distribution homogène qui ne souffre d’aucune faiblesse. Certaines personnalités se détachent toutefois comme Enkelejda Shkosa, drôle en Zita la tante grippe-sous ou en Frugola puis douce et émouvante en Suora zelatrice. Les mélomanes retrouvent avec bonheur la grande Karita Mattila qui apporte à la terrible Zia Principessa une dimension inattendue tant vocale que théâtrale. Sa prestance, en élégant tailleur pantalon dans l’univers des religieuses de Suor Angelica, impose le personnage comme les raucités d’une voix toujours impressionnante. Il conviendrait de citer tous les artistes comme les ténors Alexey Neklyudov (Rinuccio légèrement en retrait) Joshua Guerrero (solide Luigi) ou Dean Power (remarqué en Gherardo et surtout en amante) même si ces derniers sont parfois couverts par le chef. Carlo Rizzi possède un métier certain et livre une impeccable prestation à la tête d’un orchestre de l’Opéra national de Paris en très belle forme. Les spectateurs se souviendront qu’il a accompagné les débuts d’Asmik Grigorian et de Christof Loy dans une production qui restera dans les annales de l’Opéra Bastille, à ne pas manquer !