Deux grands Mahler s’abattent sur le Dresdner Musikfestspiele
Deux esthétiques radicalement opposées dans Mahler, c’est ce que propose le Dresdner Musikfestpiele, le grand festival allemand qui convoque deux orchestres au top. Japon vs USA, qui l’emporte ? Réponse…
Bienheureux Dresdois qui possèdent un opéra de légende (le Semperoper où Richard Strauss a créé quelques-uns de ses chefs-d’œuvre), deux orchestres à la stature internationale (la Sächsische Staatskapelle Dresden et le Dresdner Philharmonie), une salle de concert iconique des années RDA (le Kulturpalast) et des chœurs magnifiques (l’historique Dresdner Kreuzchor mais également le Kammerchor der Frauenkirche qui réjouit les paroissiens et les visiteurs de la cathédrale de Dresde). A cette abondance de biens, comme la cerise sur un délicieux gâteau, s’ajoutent chaque année les événements du Dresdner Musikfestspiele. L’un des plus prestigieux festivals de musique classique d’Allemagne invite les plus belles formations orchestrales. Les 17 et 18 mai 2025, les chanceux festivaliers ont pu entendre, au Kulturpalast, l’Orchestre Symphonique de la NHK de Tokyo et le Chicago Symphony Orchestra.
Au carrefour des inspirations, Luisi créé la surprise
A l’ouverture d’un festival qui dure presque un mois, on imagine facilement que son directeur artistique a du pain sur la planche. Cependant, pour accueillir son ami Fabio Luisi, Jan Vogler n’a pas oublié qu’il était également un violoncelliste renommé. Chef et soliste se sont retrouvés pour jouer ensemble le Concerto pour violoncelle de Joseph Haydn comme un cadeau aux habitués du festival, présents en nombre dans la salle du Kulturpalast. Malgré quelques approximations, la charmante partition a servi de délicieux hors-d’œuvre à la Symphonie N° 4 de Mahler défendue avec maestria. Dans le premier mouvement du chef-d’œuvre, beaucoup d’instrumentistes jouant à découvert des parties solistes, il a été agréable de découvrir des musiciens non seulement impliqués mais réellement inspirés. Avec la superbe tenue de l’Orchestre Symphonique de la NHK de Tokyo, la direction de Luisi a créé la surprise. Dans sa partie centrale, le chef, précipitant le mouvement, a produit un effet saisissant et inattendu. Cette déflagration d’atmosphères bienvenue offre du tempérament à une partition qui n’en manque pourtant pas. Il y a tout à la fois du viennois dans la direction de Luisi avec ses rythmes de valse très joliment chaloupés mais également de l’allemand dans la beauté des sons rigoureusement organisés dans une architecture lisible. Bon sang ne saurait mentir, les effets lyriques de tensions et relâchements donnent une expression théâtrale à l’italienne très aboutie. Et si l’on file la métaphore nationale, l’on ressent même un air frais des montagnes suisses (Luisi a longtemps officié à l’Opéra de Zurich) qui vient vivifier cette interprétation colorée. Dès le début du troisième mouvement poco adagio, l’on sait que l’on sera soulevé de terre par cette direction véritablement incarnée jusqu’à l’explosion finale, magnifiquement tenue jusqu’à la note bleue. La soprano Ying Fang, qui conclut le dernier mouvement, apparaît trop expressive mais ne gâche en rien ce très grand concert, un idéal.
Les rugissements de Chicago font trembler le Kulturpalast
Le lendemain, les festivaliers ont vécu un changement d’univers sonore avec une autre face de Mahler confiée au prestigieux Chicago Symphony Orchestra. Plutôt rarement jouée, la septième symphonie jouit d’une moins bonne réputation que sa grande sœur mais le choix de cet orchestre technicolor avec un chef habitué aux grandes formations est sans aucun doute le meilleur. L’ambiance complètement différente d’un jour à l’autre fait passer de la dentelle raffinée du NHK à la voiture de sport lancée à grande vitesse. Longtemps dirigé par Riccardo Muti, le CSO est connu pour son son large capable des plus impressionnants rugissements. Même si Jaap Van Zweden attaque frontalement la partition de Mahler, jamais les musiciens ne semblent au bout de leur limite, bien au contraire. A l’opposé de Luisi qui appréhendait chaque pupitre individuellement comme dans un quatuor, le chef traite son orchestre comme un tout d’où émerge parfois un instrumentiste (comme de remarquables clarinettes). Sa direction est horizontale avec une ligne plus importante que les reliefs. Cette vision uniforme n’empêche pas une certaine lassitude car les nombreux thèmes que Mahler est allé puiser dans le répertoire folklorique sont peu caractérisés. Le dernier mouvement explosif a le mérite de faire l’unanimité avec une orgie de décibels sans aucune saturation. Cette maîtrise du grand format en cinémascope est à saluer même si à Dresde, il est tout à fait concevable de préférer la porcelaine de Meissen au moteur de Porsche. Ces deux premières soirées hautes en couleur promettent une édition 2025 fantastique.




