Une Staatskapelle de Dresde entre légende et trivialité
Un opéra de légende mais également un orchestre aux superlatifs accueillent les mélomanes conquis à Dresde pour un concert ou le sublime côtoie le trivial entre Russie, RDA, Suisse et Autriche. Explications…
De nombreux orchestres allemands font les beaux soirs de toutes les salles de spectacle en Europe et dans le monde. Même s’il est galvanisant d’entendre le Berliner Philharmoniker à la Philharmonie de Paris ou le Gewandhausorchester Leipzig au Musikverein de Vienne, il reste incontournable de découvrir ces sublimes formations chez elles, dans les salles où elles se produisent presque quotidiennement. La réputation de la Sächsische Staatskapelle Dresden n’est plus à faire comme celle de sa salle mythique. Sur la scène du Semperoper, le 18 mai 2025, les abonnés des concerts de 11h et de nombreux mélomanes ont assisté à la représentation du 10ème « Sinfoniekonzert » de la saison musicale. Le programme Chostakovitch et Bruckner dirigé par Tugan Sokhiev avec Sol Gabetta aura permis de vérifier si cette réputation n’était pas usurpée.
Une violoncelliste sur des terres chargées d’Histoire
Pour les grands orchestres, les années de célébration sont rarement prétexte à redécouverte. Chostakovitch, mort il y a 50 ans le 9 août 1975, ne fait pas exception à la règle car le compositeur est souvent au répertoire de la Staatskapelle. Rappelons ses liens étroits entretenus notamment par Kurt Sanderling (chef principal de la formation de 1964–1967), un proche et également un familier d’Yevgeny Mravinsky, autre légende de la direction chostakovitchienne. Deux écoles sont souvent évoquées lorsque l’on aborde ses œuvres comme le Concerto pour violoncelle N° 1, au programme du concert. La nouvelle, internationale, a tendance à préférer le beau son tandis que la manière russe, originelle, cherchait avant tout l’expressivité. Loin de s’encanailler ou de se relâcher, la sublime Sächsische Staatskapelle Dresden ose des sonorités peu flatteuses pour restituer au plus près un style dont il semble être dépositaire aujourd’hui. Au violoncelle, Sol Gabetta relève le défi d’une partition réputée très difficile, créée en 1959 par un certain Mstislav Rostropovitch ! Les attaques sont nettes et franches. L’interprète qui semble d’abord manquer de distance ironique mène parfaitement sa barque. Elle laisse tout d’abord à l’orchestre les côtés grinçants pour ensuite exploser dans une cadenza très expressive où, à son meilleur, elle capte toute l’attention dans une virtuosité époustouflante. Une grande précision est maintenue dans les déferlements du dernier mouvement avec violoncelle et orchestre tout simplement somptueux. En bis, Sol Gabetta offre une interprétation intense et magnifiquement intériorisée de la transcription de "Nana", une des Siete canciones populares españolas de Manuel de Falla.
Bruckner sur les hauteurs et les fortissimi
Tugan Sokhiev a été l’autre artisan de la réussite de la première partie du concert. C’est cependant dans la Symphonie N° 7 de Bruckner qu’il était plus particulièrement attendu. Le compositeur autrichien a la réputation d’avoir construit ses symphonies comme des cathédrales. En architecte du son de la Sächsische Staatskapelle Dresden, le chef sait attirer l’attention sur les nombreux thèmes du premier mouvement. Les détails de la construction sont unifiés dans un savant dosage de nuances même si Sokhiev a tendance à s’appuyer sur des piliers parfois trop épais. Dans une approche wagnérienne adéquate, il pousse un son qui pourrait atteindre certaines limites. Dans une parfaite maîtrise des tempos, le deuxième mouvement adagio est dirigé avec transparence dans une acoustique qui permet d’entendre nettement chaque pupitre. Même si l’on aurait apprécié un peu plus d’abandon, il convient de souligner la tenue impeccable de l’orchestre qui sait doser les débordements d’une superbe musique, superbement exécutée. La pulsation rythmique du troisième mouvement est étourdissante même avec ses fortissimi appuyés. La Sächsische Staatskapelle Dresden, l’un des plus anciens orchestres du monde, possède cette enviable tradition mais surtout une jeunesse qui permet de redécouvrir les œuvres dans l’excellence et la fraîcheur.