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Moi, Julie M., 355 ans, bas-dessus, travestie…

Moi, Julie M., 355 ans, bas-dessus, travestie…

Sortir des sentiers battus emmène parfois dans l’impasse mais en confiant un spectacle à la Compagnie Les Perles de verre sur la vie rocambolesque de la Maupin, l’Opéra de Rennes semble bien avoir trouvé le chemin idéal. Explications…

Julie M, en garde et en scène © Andrew Waltham

Dans la belle programmation de l’Opéra de Rennes, une pièce audacieuse qui mêle le chant, le théâtre, la déclamation et l’escrime vient de toucher sa cible. Le 16 octobre 2025, quatre épéistes étaient sur la scène de la maison bretonne non pas pour en découdre mais pour évoquer la figure, ô combien romanesque ! de Mademoiselle Julie de Maupin, née en 1670. Porté par la mezzo Camille Merckx et ses remarquables acolytes, Julie M, en garde et en scène, spectacle lyrique complet et inattendu, s’est mué en une surprenante incarnation de la cantatrice de Lully, Campra, Collasse ou Destouches.

En garde, ou la Maupin risque bien de t’embrocher par surprise !

Julie M, en garde et en scène (David Migeot, Camille Merckx) © Andrew Waltham

Pénétrer non pas dans la salle de spectacle mais sur la scène même de l’Opéra de Rennes est un pas de côté surprenant qui met en joyeuse condition. Alors que les spectateurs s’attendaient à voir un récital traditionnel augmenté d’évocations historiques, ils ont été invités à s’asseoir sur des coussins disposés autour d’un couloir d’escrime, les coulisses faisant office de tout décor. Ajoutant à la douce confusion, en guise d’accompagnateurs, quatre épéistes masqués se sont avancés pour faire une démonstration de leur art ou plus précisément, pour effectuer la répétition d’un spectacle. Les costumes neutres et la chorégraphie des mouvements vifs et précis plongent déjà dans le trouble car seules les voix permettent de distinguer l’actrice et son metteur en scène. D’une belle aisance, David Migeot sera donc le monsieur Loyal dirigeant et donnant des indications purement factuelles mais également quelques clés historiques. « Puisque tu incarnes Julie, tu emploieras le je » et le glissement se fait naturellement et avec intelligence. Nous ne sommes plus dans le monde profane pour nous laisser emporter par la magie du théâtre et par l’histoire passionnante de Mademoiselle de Maupin, escrimeuse, artiste lyrique et esprit libre… Les mélomanes avertis et les lecteurs de Théophile Gautier qui connaissaient déjà l’incroyable vie romanesque de cette héroïne l’imaginaient sans doute aussi belle et conquérante que Camille Merckx.

Scènes de la vie tout sauf conjugale de la Maupin

Julie M, en garde et en scène (Camille Merckx) © Andrew Waltham

Captivante, la mezzo chante et incarne Mademoiselle Julie avec évidence et un naturel qui dépasse même le cadre du spectacle. Également autrice du texte, elle est la Maupin jusqu’au bout du fleuret. Comme ses camarades de jeu, elle fait tout sur scène, du sport, de la danse, de la poésie, de la musique… Vocalement, l’évocation est à la fois éducative et divertissante avec un petit goût de « reviens-y » tant les airs choisis demandent à être réentendus en version longue. C’est le cas du Tancrède de Campra avec le rôle à baguette de Clorinde (spécialement composé pour la cantatrice), le tout premier confié à un alto féminin dans l’histoire de la tragédie lyrique française. Camille Merckx possède un timbre marqué et des beaux graves qu’elle libère l’air de rien, concentrée sur son interprétation brillante. La petite leçon de chant délivrée au passage permet de goûter aux raffinements typiques d’un genre que l’on ne se lasse jamais de redécouvrir. Loin d’être des faire-valoir, Chloé Sévère au clavecin et Stanley Smith au violoncelle et à la viole de gambe, irrésistibles, participent à l’éducation en apportant une dose d’humour. Avec élégance, la musicienne endosse le rôle de la marquise de Florensac pour évoquer l’histoire d’amour entre les deux femmes lors d’une scène d’une exquise sensualité. À la mise en scène et à la dramaturgie, Jean-Michel Fournereau fait preuve de justesse en observant un équilibre idéal entre le divertissement, la transmission et le message politique. Alors qu’elle a porté le pantalon et qu’elle a bravé les interdits de son époque, la figure de Mademoiselle Julie de Maupin, résolument moderne, devrait être célébrée comme une icône de la Liberté. Ce spectacle de haute qualité s’y emploie, courez-y !

Julie M, en garde et en scène (Chloé Sévère, Stanley Smith) © Andrew Waltham

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