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Iphigénie de fièvre et de sang à l’Opéra-Comique

Iphigénie de fièvre et de sang à l’Opéra-Comique

Avec une toute nouvelle production de la tragédie lyrique Iphigénie en Tauride de Gluck, la salle Favart aborde un pan de son répertoire où les attentes des mélomanes sont élevées. Comique a-t-il été à la hauteur ? Réponse…

Tamara Bounazou (Iphigénie), Theo Hoffman (Oreste), chœur Les éléments © S. Brion / Opéra-Comique

En choisissant de porter à l’affiche de l’Opéra-Comique Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck, Louis Langrée, qui n’a jamais caché son amour pour la Tragédie lyrique, s’expose. Les productions parisiennes du chef-d’œuvre ont été rares et malgré une réussite au Théâtre des Champs-Elysées signée Robert Carsen en 2018, les mises en scène n’ont pas laissé de très bons souvenirs. L’actuel directeur de la Salle Favart connait les attentes et surtout les exigences de ses spectateurs avides de sensations fortes. En s’associant à l’homme de théâtre reconnu Wajdi Mouawad, ce dimanche 2 novembre 2025, sur un plateau dévasté, il a bouleversé avec cette production proche de la perfection.

Violence et passions mais aucune singerie autour du monolithe

Theo Hoffman (Oreste), chœur Les éléments © S. Brion / Opéra-Comique

Dès les premières notes survoltées de l’ouverture, la fièvre monte sur le plateau de Comique où l’on assiste tout d’abord à un cours d’histoire sur les Atrides, projeté sur écran. Ce préambule bienvenu permet de resituer le contexte avec une mise en perspective étonnante lorsque que l’on découvre que la Tauride est l’actuelle Crimée. Dans la première scène de pur théâtre, Wajdi Mouawad place les comédiens dans un musée en offrant une perspective politique intelligente sur la spoliation des œuvres d’art, dans un discours fort, sans provocation. La barbarie, si présente dans le livret d’Iphigénie en Tauride, est illustrée par le spectacle qui suit. Le retour à la musique et au livret originel est d’autant plus fort qu’il est pris dans toute sa brutalité avec les passions et le sang omniprésent sur le seul élément de décor d’Emmanuel Clolus. Iphigénie sacrifie les étrangers à tour de bras sur un monolithe kubrikien dans une chorégraphie répétitive même si le ballet est ici absent, remplacé par une gestuelle marquée. Les images classiques des grandes tragédiennes portant haut le poignard se superposent à d’autres inventions visuelles très fortes, notamment lorsqu’Iphigénie enlace son frère retrouvé dans la fragilité d’un instant suspendu. Les Érinyes qui poursuivent Oreste dans leur costume noir (signés Emmanuelle Thomas) inquiètent et griffent le corps supplicié présenté nu dans toute sa fragilité. Wajdi Mouawad introduit la dimension fantastique avec subtilité même si le feu consume ses comédiens.

Malheureuse Iphigénie mais bienheureux spectateurs avec Tamara Bounazou

Tamara Bounazou (Iphigénie) © S. Brion / Opéra-Comique

Comme à l’époque de Gluck, il convient de parler d’acteurs chantants car le plateau vocal réuni à l’Opéra-Comique est investi comme rarement. Pas tout à fait une inconnue, Tamara Bounazou s’impose comme la grande révélation en Iphigénie avec son talent de tragédienne à la diction parfaite et son soprano idéal, magnifiquement projeté. Alors qu’elle se roule sur scène, son air "Ô malheureuse Iphigénie !" arrache les larmes comme dans les grandes scènes avec Oreste. Même s’il n’efface pas le souvenir de Stéphane Degout dans ce même rôle (qui le pourrait ?) Theo Hoffman possède les aigus et incarne un Oreste touchant avec son timbre séduisant. En Pylade, l’ami fidèle, il est heureux de retrouver Philippe Talbot sur la scène de Favart où il a été un incroyable Comte Ory. A l’aise dans son très bel air « Unis dès la plus tendre enfance », le ténor manque curieusement de projection dans « Divinité des grandes âmes » et c’est dommage. L’écriture de Gluck n’épargne pas le rôle du cruel et sanguinaire Thoas. Jean-Fernand Setti possède la prestance physique et surtout des moyens vocaux qui impressionnent. Les murs tremblent à chacune de ses apparitions. Un soin ayant été apporté à la distribution des rôles secondaires, il convient de citer Léontine Maridat-Zimmerlin et Fanny Soyer remarquées en Diane et en prêtresse et surtout Lysandre Châlon, baryton déjà repéré à Comique et ailleurs. Les derniers artisans de cette réussite sont bien évidemment les ensembles et leurs chefs. A la tête du chœur Les éléments, Joël Suhubiette a préparé ses artistes, excellents comédiens qui vivent intensément la tragédie. Habituellement dirigé par Théotime Langlois de Swarte, l’Ensemble Le Consort trouve en Louis Langrée un partenaire sensible et passionné. Alors qu’il semble se livrer entièrement à la partition, le feu et la fièvre ne quittent jamais sa direction inspirée et exemplaire. Après deux autres représentations, il passera la baguette de l’orchestre, agent permanent du drame, à Théotime Langlois de Swarte pour les trois dernières de cette nouvelle production, une très grande réussite.

Tamara Bounazou (Iphigénie), Theo Hoffman (Oreste) © S. Brion / Opéra-Comique

Prochainement à Comique
Moi, Julie M., 355 ans, bas-dessus, travestie…

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