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Avec Joséphine et le Sacre, tout change et rien ne change au Théâtre des Champs-Élysées

Avec Joséphine et le Sacre, tout change et rien ne change au Théâtre des Champs-Élysées

En début de saison, le spectacle qui fait l’ouverture est toujours un événement, d’autant plus lorsqu’il inaugure le mandat de son nouveau directeur général. En misant sur du très connu, le Théâtre des Champs-Elysées réussit-il sa rentrée ? Réponse…

Le Sacre du Printemps © Maarten Vanden Abeele

« Permanence et évolution », telle semble être la devise de Baptiste Charroing, le nouveau directeur général du Théâtre des Champs-Elysées, alors qu’un vent frais et familier souffle sur l’avenue Montaigne. Pour son spectacle d’ouverture, le 25 septembre 2025, la vénérable maison a repris Le Sacre du printemps et a rendu hommage à une icone nationale. Stravinsky, Nijinski et Diaghilev ont connu un scandale retentissant à la création de leur ballet tandis que Joséphine Baker suscitera bien souvent les commentaires tout au long de sa carrière, commencée ici même il y a tout juste 100 ans. En soulevant le drap de ses fantômes, le Théâtre des Champs-Elysées dépoussière les mythes en confiant la chorégraphie de Joséphine à Germaine Acogny et l’exécution du ballet à son École des Sables.

Programmer encore une fois Le Sacre du printemps au TCE, un scandale ?

Le Sacre du Printemps © Maarten Vanden Abeele

Il aurait pu être fait reproche à Baptiste Charroing de jouer la sécurité. Le Sacre du printemps a souvent été repris sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, notamment en 2023 pour l’anniversaire de sa création et du scandale qui continue à alimenter les livres d’Histoire de la musique. Le choix de la version Pina Bausch est un gage de qualité et montre une acuité mais là encore, la chorégraphie a souvent été vue et dansée par le Tanztheater Wuppertal et également merveilleusement sublimée par la troupe du Ballet de l'Opéra national de Paris. Et pourtant, en faisant appel aux danseurs de l’École des Sables, le directeur général fait passer en douceur un message politique d’importance. Les treize danseurs sont issus du continent africain bien souvent déconsidéré dès lors que l’on aborde la question de l’Art. Que l’on se souvienne de cette Revue Nègre et des critiques qui ont accompagné la prestation de Joséphine Baker jugée « simiesque » par les plus détestables. Aujourd’hui, en 2025, les spectateurs qui ont réservé une ovation debout à ces danseurs ont applaudi des artistes exceptionnels sans plus aucune considération de couleur de peau ou de race. Au Théâtre des Champs-Elysées, la Culture joue pleinement son rôle d’ouverture et d’humanisme. Les combats esthétiques restent à mener et, de même, la présence des Siècles dans la fosse est un geste subtilement politique. Les formations sur instruments d’époque que l’on nomme « historiquement informées » n’ont pas toujours eu bonne presse, les tenants du bon goût leur préférant des sonorités léchées et « supérieurement » harmonieuses. Le jeune chef Giancarlo Rizzi empoigne la partition avec la violence attendue et surtout des raucités inédites (notamment dans les cuivres) qui intensifient la musique. La chorégraphie de Pina Bausch conserve son impact émotionnel d’une puissance rare grâce au traitement des corps poussés à la limite de l’épuisement. Les danseurs apportent une immédiateté dans les à-coups et la répétition des mouvements avec leur sueur qui s’invite pour renforcer l’impression de sauvagerie.

100 ans plus tard, Joséphine Baker danse encore au Théâtre des Champs-Elysées

Joséphine (Germaine Acogny) © Cyprien Tollet

En première partie de soirée, Joséphine aurait pu être un pendant à la violence du Sacre du printemps. A 81 ans, Germaine Acogny évoque la figure de la grande star dans un seule en scène où la danse sans fureur porte néanmoins un message politique puissant. La grande dame de la chorégraphie a croisé le chemin de Joséphine Baker, l’emblème du music-hall qu’on ne cesse de redécouvrir depuis sa panthéonisation. La toute première apparition parisienne de Mlle Baker a eu lieu sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, le samedi 2 octobre 1925. Il y a cent ans, l’artiste américaine liait son destin à celui de la France qui deviendra son pays d’adoption et qu’elle défendra en participant activement à la résistance, notamment. Les légendes qui accompagnent la vie de Joséphine en ont fait un mythe qui a toute sa place dans la salle de l’avenue Montaigne aux côtés des Stravinsky, Chanel, Diaghilev… L’image de Joséphine Baker reste associée à plusieurs symboles dont celui, aujourd’hui discutable, de la ceinture de bananes. Germaine Acogny connait l’histoire de l’icône de la mode, première femme noire élevée au rang de superstar en France. Comme une évocation de leurs racines africaines, l’artiste commence par invoquer les dieux en dansant en compagnie d’une statuette. Le geste est posé et presque solennel pour bientôt s’emparer du rythme. Une porte entourée de lumière tel un miroir de loge révèle la star du music-hall. Dans la chorégraphie qu’elle a co-réalisé avec Alesandra Seutin, Germaine Acogny prend des postures qui rappellent les affiches et les contorsions qui ont fait la gloire de Joséphine. Un doigt posé sur la tête, les jambes en charleston, la voici en peignoir rose à plumes. Sublime, Germaine Acogny devient celle à qui elle rend hommage balayant la question raciale d’un geste fort. Elle tient haut comme un symbole une banane qu’elle jette bientôt dans un geste salvateur. La voix parlée de Joséphine résonne alors avec des mots puissants ensuite repris par Acogny. Le discours qu’elle a prononcé le 28 août 1963 à Washington, le jour même où Martin Luther King a dit « I have a dream », rappelle avec force et émotion sa lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs. Sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, l’artiste recouvre son visage d’or, le fantôme de Joséphine auréolé de gloire avance vers le public subjugué par la beauté et la force du message. Le grand spectacle de rentrée qui s’inscrit à la fois dans la continuité et dans le changement est le premier acte marquant des saisons à venir au Théâtre des Champs-Elysées, salle plus actuelle que jamais !

Joséphine (Germaine Acogny) © Cyprien Tollet

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