Macerata abandonne sa Veuve joyeuse à la Vie italo-parisienne
Peu importe le flacon de Die lustige Witwe, La Veuve joyeuse ou La vedova allegra pourvu que le mélomane ait le parfum de l’ivresse lyrique. Avec sa nouvelle production, le Macerata Opera Festival a oublié une partie de son public. Explications…
Même si la 61ème édition du Festival d’Opéra de Macerata marque les débuts d’une nouvelle directrice, Lucia Chiatti, et de son directeur artistique, le baryton-basse Marco Vinco, la création en 2025 d’une production de Die lustige Witwe (La Veuve joyeuse) de Franz Lehár est toutefois à imputer à l’ancienne administration. Cadeau empoisonné ou succès à l’italienne, entièrement chantée et jouée dans la langue de Dante, La vedova allegra contrarie-t-elle la volonté de Vinco d’« Ouvrir le Sferisterio à la contemporanéité [qui] signifie avant tout être à l'écoute de son territoire et de son public potentiel » comme il l’a déclaré en conférence de presse ? Ce 27 juillet 2025, les festivaliers ont pu admirer le travail du metteur en scène Arnaud Bernard sans pour autant apprécier pleinement le spectacle.
L’affiche de Jane Avril lève la jambe plus haut que les danseurs
Depuis sa création en 1905, le charme de La Veuve joyeuse de Lehár opère sans discontinuer sur le public à la condition que la production proposée ne soit ni surannée, ni trop avant-gardiste. En faisant appel à Arnaud Bernard pour mettre en scène cette comédie romantique, le Macerata Opera Festival a pris moins de risques qu’avec Rigoletto de Federico Grazzini. Ancien assistant de Nicolas Joel et Jean-Claude Auvray, il a gardé de ses maîtres le respect du livret et une certaine idée du spectacle classique. Les scènes attendues sont bien illustrées, dans de beaux décors de Riccardo Massironi, avec cependant quelques libertés, notamment au deuxième acte. La réception ne se déroule pas exactement dans la résidence d’Hanna Glawari mais dans une station balnéaire normande où l’on pourrait facilement croiser les Dames de la côte. Au troisième, les cocottes de chez Maxim’s évoluent sous les silhouettes de Jane Avril et même si les clichés de la Belle Epoque ne sont pas évités, ils sont assumés et moins gênants que la chorégraphie signée Gianni Santucci. Le French cancan est un art qui réclame des danseurs spécialistes d’une grande souplesse et surtout, capables de respecter les mouvements d’ensemble au millimètre. Sur la grande scène du Sferisterio bien utilisée, les artistes n’illustrent que pauvrement une idée de cette danse iconique.
Production luxueuse pour chanteurs petit format
Le galop d’Orphée aux enfers et l’air du Brésilien de La Vie parisienne ont été choisis pour accompagner le numéro chorégraphique au risque de fâcher les puristes car Lehár n’est pas Offenbach et encore moins Gustav Mahler (dont la quatrième symphonie est également citée) ! La direction de Marco Alibrando pose également problème car le jeune chef n’arrive que rarement à obtenir la grâce attendue du FORM-Orchestra Filarmonica Marchigiana, trop trivial. En revanche, le Coro Lirico Marchigiano “Vincenzo Bellini”, bien préparé par Christian Starinieri, est digne d’éloge. Il est difficile de juger la distribution vocale, la direction artistique ayant visiblement préféré des chanteurs d’opérette plutôt que des artistes lyriques de stature internationale, rompus à l’exercice des nuances. Dans de superbes robes de scène (par Maria Carla Ricotti), Mihaela Marcu est une Hanna Glawari crédible à qui il suffirait d’une solide base vocale pour emporter complètement l’adhésion. Son partenaire Alessandro Scotto Di Luzio manque de charisme en Danilo, le ténor ne pouvant s’appuyer ni sur ses dons d’acteur ni sur la beauté de son timbre. Cristin Arsenova (Valencienne qui fait le grand écart) et Valerio Borgioni (Camille de Rosillon) existent scéniquement mais restent vocalement trop justes pour incarner les subtilités de la musique de Lehár. Le spectacle repose en grande partie sur le personnage de Njegus. Comme un auguste, l’acteur Marco Simeoli s’en donne à cœur joie face à Alberto Petricca dans le rôle du Baron Mirko Zeta/clown blanc et fait beaucoup rire les spectateurs italiens. Malgré le surtitrage en anglais, il est quasi impossible pour les festivaliers étrangers de comprendre les jeux de mots et cabrioles linguistiques du Napolitain. Dans les reprises de ce très beau spectacle, le Macerata Opera Festival devra sans doute faire appel à des chanteurs d’un autre calibre pour maintenir son niveau d’excellence et son statut international. La production d’Arnaud Bernard le mérite !