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Sabine Devieilhe : "L’essence de notre métier, c’est la fragilité."

Sabine Devieilhe : "L’essence de notre métier, c’est la fragilité."

La vie nous réserve parfois de sacrées surprises. Quelques jours après avoir assisté à un enthousiasmant concert Mozart à la Philharmonie de Paris où étaient réunis sur scène la plus prometteuse et déjà adulée soprano Sabine Devieilhe et l’extraordinaire chef Raphaël Pichon, vous êtes sagement assis dans le train. Là, attendant le départ, vous rêvassez gentiment tout en pestant contre le système de réservation de la SNCF qui vous a casé d’office dans un compartiment alors que vous auriez préféré la salle avec ses sièges et tablettes intégrées. Vous espérez vivement que le siège d’en face restera vide pour pouvoir étaler vos ptites jambes lorsque une frêle silhouette se glisse dans l’espace exiguë. Votre cœur ne fait alors qu’un bond lorsque vous découvrez que, mais oui, c’est bien elle, Sabine Devieilhe s’assied juste devant vous. Il y a des moments comme ceux-là où l’on bénit la SNCF !

Après, quelques rendez-vous manqués, des retards de lancement de sites et un bébé ont repoussé la parution de cette interview. Le grand retour sur scène de la superbe artiste est annoncé dans le rôle de la Reine de la Nuit à l’Opéra Bastille (à partir du 28 janvier 2017). Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, disons simplement que Sabine Devieilhe est un soprano léger mais dotée d’un timbre séduisant. Sa voix s’inscrit dans la continuité de la lignée d’une grande tradition française (Lily Pons, Mado Robin, Mady Mesplé, Natalie Dessay). Toutes se sont illustrées dans le rôle emblématique de Lakmé. Sabine Devieilhe y apporte cette touche personnelle qui la distingue des autres et qui nous permet d’entrevoir quelle belle artiste elle est déjà et quelle grande star elle sera demain…

© Jensupaph

© Jensupaph

Comment avez-vous découvert que vous aviez une voix ?

Toute petite fille déjà, ça me plaisait de chanter. De façon très simple, sans essayer de faire de la vraie musique, je racontais ma journée en faisant mes lacets, comme ça, juste pour le plaisir. Une sensation qui est venue très vite et qui ne m’a jamais quitté depuis. Avec le plaisir, l’autre donnée importante, c’était l’oreille des autres, une bienveillance qui porte... Je me rends compte qu’aujourd’hui encore ce sont les mêmes deux lignes directives qui me guident : l’accomplissement personnel, l’envie, le plaisir de chanter, d’être sur scène et l’envie grandissante des autres, de mes professeurs et du public...

Quel est votre parcours ?

A 6 ans, je suis rentrée à l’Ecole de Musique d’Ifs, une très bonne école dans une petite ville de Normandie où j’ai commencé le violoncelle à 7 ans. Je faisais également partie de la chorale. J’étais toujours la première à chanter. Ensuite, je suis allée au conservatoire de Caen pour le violoncelle mais j’ai rapidement rejoint le chœur. Le chant était une façon assez facile de faire de la musique en collectivité. C’était avec mes copines de pupitre, plutôt en dilettante en plus du violoncelle, de la danse et du solfège.
Ensuite, comme j’ai eu envie de faire des études de musicologie, je me suis inscrite à la faculté de Rennes. En tant qu’étudiante, pour gagner trois sous, je suis rentrée dans les chœurs de l’opéra. C’est là où j’ai découvert la scène et j’ai trouvé ça formidable. 
J’avais d’un côté le violoncelle pour le côté laborieux de la musique qui me plaisait aussi parce que je m’apprenais à travers l’instrument. De l’autre côté, le chant c’était la récréation. J’avais une voix naturellement très aiguë et agile mais c’est à l’Opéra de Rennes que je me suis rendue compte que c’était un vrai métier !

Cela a été votre vraie première expérience professionnelle ?

J’ai commencé par faire quelques petits solos à droite et à gauche, sans vraiment prendre cela très au sérieux. A la Fac, je me rêvais plutôt théoricienne, historienne ou enseignante. Dans les chœurs, j’ai ressenti le besoin de prendre des cours. J’ai donc intégré la classe de chant de Martine Surais qui m’a dit « mais ma chérie tu es chanteuse, c’est une évidence ». C’est elle qui m’a mis dans les mains le dossier d’entrée au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Tout est allé très vite. J’avais conscience que les choses marchaient bien mais là, j’ai plus été poussée par l’envie de mon entourage que par mon propre désir. 

Vous n’étiez pas encore assez sûre de vous ?

Même en arrivant à Paris, tout était encore ouvert. Quand on rentre dans une institution prestigieuse comme le CNSM, on a beau savoir que c’est la plus grande école française, on sait également que le milieu de la musique est très difficile. Il faut garder, quoi qu’il arrive, cette envie de faire de la musique. Il est important de rester ouvert à tout pour diversifier ses champs d’action.

Et votre première fois sur scène comme professionnelle… ?

J’ai commencé par faire beaucoup de chœur et de la musique contemporaine avec les Cris de Paris. Ensuite, il y a eu une première saison avec les Arts Florissants où j’ai chanté dans la descente d’Orphée aux enfers de Marc-Antoine Charpentier, puis Venus and Adonis de John Blow. Après avoir joué au violoncelle le continuo de Didon & Aeneas à Rennes, je restais en plein dans ce qui me passionnait. J’ai vite rencontré Alexis Kossenko (c’est avec lui que nous avons fait l’enregistrement Rameau). Il m’a vraiment appris à être la soprano sur une scène, dans cette situation si étrange avec un orchestre derrière soit et un public devant !

C’est un métier difficile ?

C’est un métier très particulier que l’on découvre au fur et à mesure. Je trouve cela formidable de parcourir le monde grâce à lui mais à l’école, personne ne nous apprend ce qu’en sera la réalité et le quotidien. On a besoin de toujours garder les pieds sur terre et de se remettre en question en permanence car les occasions de s’illustrer à notre meilleur sont rares. C’est par les difficultés qu’on apprend à s’épanouir et à se développer. L’essence de notre métier, c’est la fragilité.

Comment travaillez-vous votre voix ?

Ca dépend du moment. Pendant les vacances, le corps reprend une forme humaine (rire). Il faut donc le remettre sur les rails du chant. Quand je prépare un rôle, je chante tous les jours pour l’hygiène vocale. Par contre sur une production, avec l’exigence des semaines de répétition, j’ai besoin d’être concentrée et de me reposer. En ce qui me concerne, le travail sur le corps est toujours plus lourd que pour les cordes vocales. Ce n’est pas la même chose que le violoncelle par exemple qui réclame une gymnastique que l’appareil vocal ne supporterait pas. 
Encore plus pour le chant que pour un autre instrument, vous avez besoin de l’oreille extérieure. Le travail que vous effectuez à la maison est centré sur la santé de la voix. Après les ajustements que vous faites avec le chef d ‘orchestre, les professeurs de chant et les collègues sur le plateau apportent énormément de corps.

Comment choisissez-vous vos rôles ?

J’ai des personnes référentes avec qui je sais que je peux parler répertoire comme mon professeur et mes chefs de chant… Je suis très bien entourée.

Est-ce que les critiques ont un impact ?

Pour être très honnête, sans vouloir… (rire), je me protège énormément. Les critiques jouent un rôle essentiel pour le spectacle vivant et de baromètre dans une carrière. Mais le principal intéressé doit se protéger et penser à la santé de son instrument en écoutant d’abord sa voix intérieure.
Lorsque l’on évolue dans l’affect, il est normal de créer des passions mais il faut défendre la valeur du travail sur le plateau. Nous sommes tous là pour soutenir un art qui peut paraître en déclin. On doit y mettre toute notre énergie car je suis persuadée qu’il peut plaire au plus grand nombre.

Quels sont vos désirs pour les années à venir ?

Comme le melting-pot fait partie de ma vie de musicienne depuis le début, j’ai envie de garder un pied dans le baroque car c’est une musique que j’adore. J’aimerais certainement faire de la création contemporaine. Et je pense qu’un jour, j’enseignerai. La technique, la pédagogie et le chant en lui-même me plaisent. Ce n’est pas que la scène qui me donne envie.

Et le jeu sur scène ?

Je suis passée par la musique pour aborder ce métier mais je me rends compte aujourd’hui que même en version de concert, j’adore incarner des personnages. Je suis ouverte à toutes les propositions dramatiques et du moment que le projet est nourri, cela ne me dérange pas d’être bousculée par le metteur en scène. 

Avec le rôle d’Adèle de Fledermaus, vous avez offert une nouvelle facette de votre talent, le comique !

Et pourtant au conservatoire, j’étais plutôt la petite marrante. Mais c’est vrai que c’était assez nouveau. 

Vous avez également abordé le bel canto avec la sonnambula de Donizetti…

Avant la version de concert au Théâtre des Champs-Elysées, j’ai chanté ma première Amina avec Jean-Claude Malgoire et un programme Rossini avec Alexis Kossenko. Cette incursion, je l’ai sentie évidente grâce à Haendel. Et c’était amusant parce que le calendrier faisait que je travaillais le rôle d’Amina à la maison pendant que j’interprétais Lakmé à Avignon. Mettre du bel canto dans Lakmé paraît évident. Cela vous place sur des rails.
Cependant, je vais rester prudente avec ce répertoire car le travail musculaire est très particulier pour passer les gros tutti d’orchestre, notamment. Lucia di Lammermoor par exemple, c’est complètement autre chose. 

Lakmé reste à votre répertoire ?

Oui, il y a encore des projets. Cet opéra a besoin d’une mise en scène forte. C’est le rôle que j’ai le plus chanté et j’ai l’impression que je comprends cette jeune fille. Lakmé, c’est mon identité.

Et quels sont vos projets à la scène ?

Je suis très contente de bientôt faire mes débuts à la Scala de Milan avec Die Entführung aus dem Serail de Mozart. Je ne quitte pas Mozart avec la Reine de la Nuit et avec ma toute première Susanna des Nozze di Figaro qui se profile. Ce n’est pas pour tout de suite mais je suis vraiment très heureuse car cela fait partie des rôles dont j’ai envie depuis toujours. Il y a aussi une première Zerbinetta dans Ariadne auf Naxos de Straus, enfin ! C’est un rôle que j’ai beaucoup travaillé et qui fait partie de mes grands challenges 17-18. Sophie du Rosenkavalier est aussi en train de se profiler. Il y a également un projet à Vienne dans les années à venir mais je n’en dirais rien pour l’instant…  Et enfin, même si la prise de rôle ne s’est pas faite à l’Opéra Bastille, Olympia des Contes d’Hoffmann est bien au répertoire. Je suis comblée car il n’y a pas de rêve impossible. Tout ce dont j’ai envie se dessine dans les cinq prochaines années. Il y a même des projets de création contemporaine auxquels je tiens tout particulièrement. Je peux pas encore en parler car c’est dans longtemps. L’ange dans le Saint-François d’Assise de Messiaen m’a été proposé mais ce n’est pas possible pour l’instant. L’oeuvre est difficile à monter mais j’aimerais beaucoup…

Il y a également des concerts en préparation ? 

Oui ! De la musique ancienne, du Rameau, c’est sûr… avec Raphaël Pichon et de la mélodie également. Il y a un beau projet de concert au Théâtre des Champs-Elysées avec Pelléas et Mélisande de Debussy dirigé par Benjamin Lévy et avec Guillaume Andrieux. C’est un rôle que j’affectionne énormément.

Et au disque ?

Le troisième CD se fera avec Les Siècles et François-Xavier Roth dont j’admire beaucoup le travail. Il a une vraie intelligence du texte. Lakmé sera la pièce maîtresse d’un programme d’airs français de la fin 19ème, début 20ème. Nous sommes partis de l’envie de retranscrire cette qualité incantatoire du chant exotique, vu par l’Europe du XIX-XXe, avec des airs un peu moins fréquentés. 

A ce stade de votre carrière, est-ce que vous avez l’impression que tout est allé vite ?

A posteriori, en effet, j’ai la sensation que les choses sont allées vite mais au quotidien, le travail reste le même. Je n’avais pas forcément prévu d’être là où j’en suis mais je m’épanouis.

Propos recueillis le 12 avril 2016

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