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À Anvers, Marcos Morau renverse Romeo + Juliet

À Anvers, Marcos Morau renverse Romeo + Juliet

Programmer le célèbre ballet de Prokofiev est incontournable mais lorsque l’Opera Ballet Vlaanderen fait appel au chorégraphe Marcos Morau, sa version de Romeo + Juliet saura-t-elle réjouir les habitués du chef-d’œuvre sur l’amour impossible ? Réponse... 

Romeo + Juliet © Opera Ballet Vlaanderen / DannyWillems

Grâce aux choix de Jan Vandenhouwe, le directeur artistique de l’Opera Ballet Vlaanderen, l’audacieuse programmation danse des maisons flamandes de Gand et d’Anvers est toujours à la pointe. Le mardi 8 avril 2025 à l’opéra d’Anvers, la nouvelle version de Roméo et Juliette, sur la célèbre musique de Prokofiev, était particulièrement attendue. En effet, Marcos Morau, le chorégraphe le plus en vue des amoureux de danse contemporaine, y présentait sa création. Alors qu’il est invité par les plus grandes compagnies internationales (Nederlands Dans Theater, Ballet de l'Opéra de Lyon, etc.), la carrière de l’artiste espagnol est en pleine ascension. Son nom se retrouve de plus en plus dans les saisons des grands théâtres.  S’attaquer à une œuvre iconique si ancrée dans la culture commune tant littéraire que musicale, cinématographique et surtout chorégraphique représente un défi de taille. À l’image du travail de Morau, ce Romeo + Juliet s’éloigne de la lecture classique jetant le spectateur dans l’inconnu et le questionnement. La géniale musique de Prokofiev et l’histoire tragique imaginée par Shakespeare sont les traits reconnaissables du chef-d’œuvre mais le chorégraphe a imaginé un monde nouveau, peuplé de figures sombres et mystérieuses qui interrogent. L’expérience est néanmoins d’une grande intensité. 

Un univers brutal et stylisé

Romeo + Juliet © Opera Ballet Vlaanderen / DannyWillems

Une musique oppressante presque suffocante retentit dans la salle de spectacle. Les trente-trois danseurs de la compagnie sont vêtus de noir et traversent lentement la scène en portant une arche qui semble d’une lourdeur physique et même mentale. L’atmosphère effroyable est installée. L’on découvre alors le langage chorégraphique de Morau focalisé sur le haut du corps et particulièrement la tête. Mouvements vifs et désarticulés qui rappellent les gestes saccadés et rapides de la tête des oiseaux. Sur la scène, un cercle noir au sol est recouvert par un grand rideau noir de même diamètre. Les scènes alternent entre l’intérieur du cercle et son pourtour, selon que le rideau soit levé ou non. Dans ses créations, Marcos Morau allie toujours à la danse la scénographie afin de créer des expériences sensorielles complètes. Son Roméo + Juliet ne fait pas exception et les costumes de Silvia Delagneau et la scénographie de Max Glenzel occupent une place essentielle à la création. Costumes mêlant jupes longues, bustiers en armure et même un cheval d’acier (rappelant le cheval de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris) s’apparentent à un mélange entre l’époque des chevaliers et l’époque futuriste. Pour la musique, c’est aussi un alliage d’extraits de la fabuleuse partition de Prokofiev et de la musique électronique qui fait danser les chevaliers. Dans la fosse, le Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen glace la salle, dirigé par Gavin Sutherland. Dans cette ambiance obscure, plus les danseurs s’agitent sur scène, plus une question se pose : où est Roméo, et où est Juliette ? 

Une énigme sans Roméo ni Juliette ?

Romeo + Juliet © Opera Ballet Vlaanderen / DannyWillems

Dès les premières scènes, un danseur, Rune Verbilt, attire l’attention. Muni d’une épée il se retrouve face à deux enfants qui jouent. Rejoint par l’ensemble de la troupe, il se fait malmener par le reste du groupe et laisse échapper des cris et gémissements sporadiquement tout au long du spectacle. En plus des mouvements tels des corps électrifiés, l’agressivité se fait ressentir dans chaque interaction des danseurs. Parfois à deux, trois ou même en groupe, la violence et le contrôle du corps de l’autre, particulièrement par le visage, sont omniprésents. Avec le titre explicite de la pièce, il est difficile de s’empêcher de chercher qui est Juliette ? L’on pencherait pour Allison McGuire, remarquable dans le vocabulaire de Morau ou encore Niharika Senapati, saisissante de cruauté et de puissance. Roméo, Mercutio ? Peut-être Lateef Williams qui effraie par sa maîtrise des mouvements imprévisibles. Plus l’œuvre avance, plus les identités s’effacent. Là est tout le propos, ils sont tous Roméo et tous Juliet et l’amour n’existe plus. Morau a choisi de créer une version dérangeante mais cohérente de l’œuvre éponyme en l’adaptant aux dérives de la société d’aujourd’hui. Son message est clair et est d’autant plus effrayant qu’il choisit d’exposer les vices de l’humanité aux yeux des deux enfants, figures silencieuses et bouleversantes. Leur cœur - et celui du public - se déchirent. 

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