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Fabien Armengaud : « Nous avons rapidement réalisé qu’il ne fallait pas être plus royaliste que le roi »

Fabien Armengaud : « Nous avons rapidement réalisé qu’il ne fallait pas être plus royaliste que le roi »

Avant cette interview, une première rencontre avec Fabien Armengaud a eu lieu au disque. Grâce à l’album consacré à Etienne Richard, professeur du Roy Soleil (paru chez L'Encelade en mars 2021), le claveciniste émérite a réussi la belle prouesse de nous faire découvrir un nouveau répertoire passionnant tout en racontant une page d’histoire avec talent et surtout de susciter l’intérêt. Nous avons souhaité connaître mieux l’artiste nommé depuis peu à la direction musicale et pédagogique de la maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles. L’implication évidente de Fabien Armengaud dans la musique baroque française l’a conduit naturellement à prendre une belle responsabilité dans la prestigieuse maison qui l’a vu s’épanouir. Avant d’occuper ce poste à la rentrée 2021, il a été chef-assistant et coordinateur pédagogique des Chantres aux côtés d’Olivier Schneebeli pendant 20 ans. On ne parlera jamais assez du CMBV, véritable place forte pour le patrimoine musical, infatigable dénicheur de compositeurs, d’oeuvres et de musiciens pour les interpréter. Inviter Fabien Armengaud dans ces colonnes est non seulement un moyen de rendre hommage à une institution exemplaire mais également à l’un de ses plus brillants artisans. Plusieurs fois reportée, la rencontre s’est faite dans un café parisien presque au hasard où des artistes en tout genre ont visiblement leurs habitudes. Plongés dans un univers familier, nous avons parlé de ses amis musiciens et musicologues mais également des gens qui nous entouraient dans une ambiance chaleureuse et réellement amicale. Avec légèreté et beaucoup d’élégance, il a été bien évidemment question de musique baroque française, de technique et des nombreux projets à venir mais surtout du feu de la passion qui anime cette belle personnalité du monde de la musique classique.

Fabien Armengaud - © Le Philtre - Olivier Lalane

Vous venez de prendre les rênes de la Maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles et pourtant, ce n’est pas tout à fait votre première saison ?

Je suis rentré au CMBV comme emploi-jeune il y a 20 ans, au même moment d’ailleurs que Benoît Dratwicki qui est devenu son directeur artistique depuis. J’y ai exercé plusieurs fonctions et j’ai pris le continuo à la suite de Frédéric Desenclos pour devenir ensuite chef assistant.

La Maîtrise n’a pas été mise en place dès l’ouverture du Centre ?

Le CMBV a vu le jour en 1987 grâce à Vincent Berthier de Lioncourt et à Philippe Beaussant et la Maîtrise a été créée quelques années plus tard en prenant modèle sur ce qui se faisait en Angleterre. Avec Edward Higginbottom du New College Oxford comme référent, ont été montés un chœur d’adultes (Les Chantres) puis un chœur d’enfants (Les Pages) dirigés depuis 1991 par Olivier Schneebeli qui est resté trente ans à leur tête. Les filles n’ont pas été acceptées au tout début tout simplement pour des raisons historiques car Louis XIV n’aimait pas ce type de voix. Heureusement, nous avons rapidement réalisé qu’il ne fallait pas être plus royaliste que le roi mais nous avons toujours des projets pour recréer les effectifs historiques. Je suis d’ailleurs en train de préparer le chœur pour Hervé Niquet qui dirige Ariane et Bacchus de Marin Marais au Théâtre des Champs-Elysées le 4 avril 2022. Comme à l’époque, il y aura beaucoup de monde sur scène. Nous travaillons déjà sur le retour de la Chapelle de Louis XV pour un concert qui sera donné en novembre 2023.

Et pas forcément à Versailles car le CMBV et le Château de Versailles spectacle sont deux institutions différentes ?

Même si nous faisons beaucoup de coproductions, ce sont bien deux entités complètement séparées. Il y avait en effet des spectacles produit par le Centre de Musique Baroque de Versailles mais l’arrivée de l’organisation de Laurent Brunner nous a permis de nous concentrer sur le travail de recherche et de développer les relations internationales comme par exemple avec Budapest et Rio.

Parlons de la maîtrise qui regroupe tous les âges et même les tout petits ?

Fabien Armengaud © Morgane Vie

Oui, c’est ce que nous appelons le Jardin musical, une initiation très rigolote avec des poussettes partout qui est sur le hors temps scolaire. Ensuite, la pré-maîtrise est proposée dans le cadre de l’école à des élèves jusqu’à la fin CM2. Puis viennent Les Pages, des enfants de la 6ème à la 4ème ou 3ème que nous n’accompagnions pas après la mue mais cela vient de changer. Il était dommage de ne pas leur offrir un suivi artistique et depuis le 8 novembre, nous avons un nouveau chœur qui s’adresse à des anciens maîtrisiens pour qu’ils chantent d’autres répertoires que le français. Pour terminer le tour d’horizon, nous avons Les Chantres qui ont entre 18 et 30 ans.

Une autre idée que nous avons concrétisé rapidement a été de faire venir un chef invité. Nous avons la chance d’avoir Emmanuelle Haïm qui sera présente sur deux saisons et qui a déjà apporté plein de choses. Elle dirigera les grands motets de Lalande et animera une masterclasse sur la cantate.

Il est facilement imaginable que tout cela demande énormément de travail…

C’est même un plein temps ! Par exemple, outre les heures de chœur, les adultes présents du lundi matin au vendredi soir suivent des cours de technique vocale, de chant/piano avec des chefs de chant au piano ou au théorbe, de langue (anglais, italien, allemand), de solfège... Chaque saison comme nous essayons de faire un projet scénique, nous proposons donc des cours de danse et de gestuelle baroque. Il me semble très important de travailler sur l’ornementation dans le premier XVIIème en France et donc, pendant trois mois, les chanteurs vont suivre l’enseignement de William Dongois. Il y a aussi des cours d’histoire de la musique avec les chercheurs et de méthodologie. Ils sont initiés à la direction de choeur, à la gravure, à la basse continue. Ils ne s’ennuient pas ! Et, j’en oublie certainement… Vous ai-je parlé de nos jeudis musicaux à la Chapelle Royale de Versailles ? De novembre à juin, tous les jeudis de 17h30 à 18h30 nous avons une audition publique. Le but est de les former en montant un concert en une semaine, vite et bien comme à l’époque ! C’est une expérience très riche comme celle au sein d’une troupe. Je tiens beaucoup à cet esprit très répandu en Allemagne et pas assez chez nous, je trouve…

Vous offrez une vraie formation professionnelle ?

Le CMBV est le seul à offrir une formation à des profils aussi variés que des jeunes bacheliers, des élèves de conservatoire ou de classe prépa comme des gens plus âgés. En matière d’insertion professionnelle, nous sommes fiers d’afficher un taux de réussite de 89 %. Certains chanteurs rentrent tout de suite dans le métier quand d’autres continuent leur perfectionnement de choriste ou de soliste. On ne compte plus les artistes de chez nous qui ont explosé un peu partout, Edwin Crossley-Mercer, Damien Guillon ou Marc Labonnette… sans parler de ceux dont on va entendre parler comme Antonin Rondepierre ou Thierry Cartier.

Vous travaillez également avec un orchestre ?

Avec un continuo plutôt… Grâce à un partenariat avec le CNSM de Paris, nous invitons en résidence des organistes issus des classes d’orgue d’Olivier Latry et de Thomas Ospital qui viennent se former à la musique baroque française. Dans le même esprit, le directeur du CMBV Nicolas Bucher et Benoît Dratwicki ont eu l’idée d’une académie qui devait être créée en 2020.

Une académie qui augure d’autres projets ?

Fabien Armengaud © Morgane Vie

Comme au temps de Louis XIV des organistes étaient en résidence, nous réfléchissons à inviter des jeunes compositeurs contemporains pour écrire des oeuvres en miroir d’une pièce baroque. On est vite catalogué en France et il est important de s’ouvrir et notamment à la création. D’un autre côté, il existe beaucoup de répertoires dont on ne parle pas assez comme la romance fin XVIIème par exemple, au risque de laisser s’installer une coupure. Nous avons un projet avec Julien Chauvin autour de l’Iphigénie en Aulide de Gluck. Le répertoire après Rameau est très riche et je pense à un compositeur comme Michel Corrette qui a écrit un grand motet sur les quatre saisons que personne n’a jamais fait et que Julien dirigerait très bien d’ailleurs. Il n’y a pas que Vivaldi ! Même si on le redécouvre, Grétry mériterait qu’on en fasse plus pour lui sans parler du premier XVIIème. Mis à part Vincent Dumestre, Sébastien Daucé ou Hervé Niquet qui vient de faire un magnifique enregistrement autour de Pierre Bouteiller, trop peu de chefs s’y intéressent.

Comme vous avez fait avec votre CD Etienne Richard ?

Les partitions étaient pourtant connues et avant l’enregistrement, cela faisait 20 ans que je jouais cette musique géniale qui ne ressemble à aucune autre. Etienne Richard est un novateur.

Qui sont ces compositeurs du premier XVIIème ?

Un chercheur du CMBV est en train de publier 150 messes et il faut s’attendre à un véritable choc lorsque l’on va découvrir François Cosset par exemple. Nous travaillons actuellement sur le manuscrit de Tours-168 [NDLR : recueil qui contient 99 pièces, essentiellement sacrées] des années 1610 et sortons tout juste d’une séance sur une messe de Bournonville de 1619. Je peux vous parler également de Moulinié, de Villesavoye, de François Pétouille ou Jean-Baptiste Dutartre. Même si leur patronyme prête à sourire, ils ont composé de la très grande musique.

C’est en effet se rappeler qu’une grande partie du travail du Centre de Musique Baroque de Versailles est l’édition…

Les partitions commencent à être numérisées et régulièrement, certaines sont mises en ligne gratuitement. Lire des nouvelles musiques est mon terrain de jeu favori. Et comme les musicologues chercheurs du CMBV savent que j’adore leur travail, ils m’envoient des fichiers et parfois même des disques durs entiers de grands motets ou de petits divertissements. Ils sont souvent force de proposition comme pour cette pièce extraordinaire de 1720 de François Estienne que nous jouons en novembre ou les deux cantates bibliques inédites de Campra, bientôt au programme. Il y a encore une frilosité à s’emparer du premier XVIIème et pour donner quelques clés ou orienter vers les pistes à prendre, nous allons proposer une répétition commentée avec le chœur des Chantres et faire un appel à candidature.

Avez-vous des demandes de l’étranger ?

Nous recevons beaucoup de visiteurs qui veulent venir voir et entendre ce qu’est le son français et nous sommes invités en dehors de l’Hexagone. Nous avons travaillé avec la Schola Cantorum Basiliensis ou encore avec György Vashegyi qui a souhaité distribuer le chœur d’enfants dans une messe de Haydn au cours du Festival Haydneum à Budapest. Nous avons également joué le Stabat Mater de Pergolèse qui était beaucoup donné en France à la chapelle avec chœur. Les Chantres vont en Finlande pour interpréter deux divertissements de Colin de Blamont avec le Helsinki Baroque Orchestra dirigé par Aapo Häkkinen au clavecin.

Fabien Armengaud - © Le Philtre - Olivier Lalane.jpg

En tout, combien faites-vous de concerts par an ?

C’est assez difficile à dire car c’est très variable. Nous avons pâti de la pandémie mais avec la reprise des concerts et les enregistrements à préparer, tout se bouscule de nouveau. Nous devons entrer en studio avec Stéphane Fuget pour les grands motets de Lully et nous serons aux Invalides avec Ophélie Gaillard pour le Gloria de Vivaldi. J’estime qu’il faut savoir « prêter » notre chœur à d’autres chefs. Il est tout aussi important de s’ouvrir au grand répertoire comme à l’opéra.

Existe-t-il des difficultés spécifiques à la musique baroque française ?

L’agilité que réclame l’ornementation sans doute mais vous savez ce que l’on dit : « Il n’y a que deux techniques, la bonne et la mauvaise ! ». Pour moi, il n’existe pas de différences fondamentales entre la musique vocale et la musique sacrée en Italie ou en France au XVIIème. Ce sont les mêmes chanteurs et la technique est la même. Il est vrai en revanche que le style et l’ornementation varient beaucoup entre 1600 et 1750. Il nous reste des textes et beaucoup de traités sur lesquels nous travaillons.

L’histoire de l’interprétation est à prendre en compte ?

Il fut un temps pas si lointain où la mode était aux voix blanches. Or, le vibrato était un ornement et le gommer complètement, une belle erreur historique ! Un autre sujet passionnant est la prononciation du latin qui était exactement comme celle du français avec toutes les liaisons. Même jusqu’au Requiem de Fauré, le Pie Jesu s’entendait en français mais nos habitudes d’écoute ont évolué. La couleur du son si vous faîtes de vrais « u », « i », etc. est différente comme des épices dans un plat. Le son français est dans ses voyelles, c’est sûr !

Je me rend compte que nous avons finalement plus parlé de musique que de vous…

Fabien Armengaud © Pascal Le Mée

Ah! C’est peut-être parce que le sujet est moins intéressant ! (rires). Disons que mon grand-père qui était organiste et facteur de piano à Auch a ouvert la porte. Très jeune, je me suis retrouvé devant les tuyaux et comme tout le monde, j’ai fait du piano mais je n’aimais pas ça ! Lorsque j’ai découvert un clavecin français historique de 1780 dans le musée juste en face de chez mes grands-parents, j’en suis devenu monomaniaque. Chez moi, je possède cinq instruments dont le clavecin sur lequel Scott Ross a enregistré la fameuse intégrale Scarlatti. Malheureusement mes nouvelles fonctions m’obligent à mettre ma carrière de soliste un peu entre parenthèses car je travaille déjà jour et nuit ! Un autre disque est cependant prévu et je peux déjà vous annoncer qu’il s’agira d’un programme Duphly. Pour l’instant je me consacre à la maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles où je suis en poste peut-être jusqu’à la retraite ou du moins, jusqu’à ce que l’on me demande de partir. Il faut être jugé sur pièce…

Dernière chose, on peut lire que vous faites partie de la Confrérie des Entonneurs Rabelaisiens ?

On m’a conseillé d’enlever cet élément de ma bio mais comme je n’ai aucune autre médaille que celle-ci, je l’arbore fièrement ! Grâce à la confrérie qui entretient la mémoire de Rabelais et du Chinon, j’ai passé un moment inoubliables dans les caves privées éclairées à la bougie à une heure du matin à déguster quelques vieilles bouteilles. Il faut relire Rabelais !

 

Propos recueillis le 20 octobre 2021

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