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La 76ème édition du Concours de Genève fait place à la jeunesse

La 76ème édition du Concours de Genève fait place à la jeunesse

Le mélomane à la pointe guette souvent les compétitions qui lui permettent de découvrir les grands noms du classique de demain. Le Concours de Genève fait partie des prestigieux détecteurs de talents et ce, depuis plus de 76 ans. Explications…

Kaoruko Igarashi, Sergey Belyavsky, Kevin Chen & Zijian Wei © Anne-Laure Lechat / Concours de Genève 2022

Martha Argerich, Maurizio Pollini, Tabea Zimmermann, Nelson Goerner ou Emmanuel Pahud ont tous en commun d’avoir remporté le Concours de Genève. La grande compétition internationale qui se tient chaque année en Suisse couronne les jeunes talents prometteurs. Créée en 1939, elle a toujours été pluridisciplinaire mais en 2022, ce sont quarante pianistes représentants de quatorze pays différents qui se sont disputés le premier prix. Cent quatre-vingt-deux candidats ont postulé et, après une première sélection en ligne, les 40 élus ont passé plusieurs épreuves pour pouvoir accéder à la grande finale. La Salle Franz Liszt du conservatoire de Genève a d’abord accueilli un récital solo, une épreuve en musique de chambre et, nouveauté 2022, un oral de présentation d’un projet artistique à réaliser dans les deux ans à venir. Enfin, le 3 novembre 2022, les quatre finalistes retenus se sont retrouvés sur la scène du Victoria Hall devant l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par Marzena Diakun. La 76ème édition du Concours de Genève allait s’achever en révélant le nom du lauréat à ajouter à la liste prestigieuse.

Un concerto peut en cacher un autre

Kevin Chen © Anne-Laure Lechat / Concours de Genève 2022

Le pianiste chinois Zijian Wei de 23 ans a ouvert les hostilités en interprétant un ébouriffant concerto. Les finalistes devaient défendre une pièce choisie parmi une liste de 16 œuvres de Beethoven, Bartók, Brahms, Chopin, Prokofiev, Ravel, Saint-Saëns, Schumann et Tchaikovsky. Prendre le concerto No. 1 de Liszt n’est pas anecdotique et renseigne sur la personnalité d’un artiste. Le compositeur hongrois connu pour la virtuosité de son écriture expose à plusieurs attentes, la flamboyance bien sûr mais aussi une certaine profondeur. Il peut même tendre un piège à ses interprètes qui doivent se méfier de l’écueil « esbroufe ». Après une introduction explosive comme il se doit, le pianiste convainc et tout particulièrement dans les parties introspectives bien senties. La sensibilité lisztienne qui s’exprime avec délicatesse est bien vite rattrapée par une virtuosité tape-à-l’œil et, avouons-le, assez jouissive. Zijian Wei, tellement emporté par sa fougue qu’il en perd ses lunettes, place la barre assez haut avec son interprétation décoiffante. Le niveau retombe hélas tout de suite avec la seule pianiste du groupe, la japonaise de 27 ans Kaoruko Igarashi. Il est évident que le choix du concerto No. 3 de Prokofiev n’était pas le bon, surtout que l’œuvre sera entendue à nouveau (et bien différemment) dans la deuxième partie du concert. La première phrase murmurée aurait pu être un prélude à une montée en intensité mais il ne s’est rien passé. Avec des phrases trop appliquées (même si elles sont exécutées avec talent), la douceur de l’approche traduit une absence de vision avec un son et des couleurs complètement tombés aux oubliettes. C’est de toute évidence un rendez-vous (et une compétition) complètement raté et c’est bien dommage car il est évident que l’artiste a des choses à dire. La belle envolée du final arrive trop tard, après beaucoup d’ennui, mais laisse entrevoir la prestation qu’elle aurait pu donner dans un autre répertoire.

Aux âmes bien nées, la victoire n’attend point…

Sergey Belyavsky © Anne-Laure Lechat / Concours de Genève 2022

Comme dans les compétitions sportives, choisir la bonne discipline et le bon équipement peut s’avérer payant. A 17 ans, le pianiste canadien Kevin Chen est le cadet du concours ce qui ne l’empêche pas de s’emparer d’un chef-d’œuvre. Le Concerto No. 1 de Chopin est sans doute la pièce la plus populaire entendue ce soir par le public du Victoria Hall, très attentif. Le romantisme n’est pas servi par la direction de Marzena Diakun pourtant parfaite dans l’exercice (l’Orchestre de la Suisse Romande ayant brillé dans tous les répertoires). A la charge du jeune Kevin d’exprimer la sensibilité et la poésie chopinienne, ce qu’il fait avec affirmation dès la première phrase. Même si certaines chausse-trappes ne sont pas toujours évitées (quelques couleurs manquent parfois), l’artiste maintient une tension et arrive à impressionner avec une dextérité et une technique remarquables. L’interprétation peut sans doute mûrir mais déjà, l’on sent un vécu. La Romance est jouée avec humilité et une simplicité des plus appréciables avant un dernier mouvement sautillant où la personnalité du pianiste de 17 ans s’exprime sans démonstration. Le touché limpide et une sonorité claire doublés d’une bonne tenue sur scène laissent supposer une très bonne place sur le podium pour Kevin Chen. Il restait un dernier candidat à entendre qui a créé une certaine surprise. En interprétant à nouveau le concerto No. 3 de Prokofiev, Sergey Belyavsky, le pianiste russe de 28 ans a littéralement incarné la musique ouvrant même un fossé, tant le contraste cruel pour sa collègue japonaise était marqué. Le concerto joué avec les tripes a pris une tout autre allure, celle qui donne du relief aux concours. Belyavsky a mené la danse en emmenant tout l’orchestre avec lui, au service du piano farouchement expressif. Avec sa technique brillante, l’artiste s’est permis quelques envolées époustouflantes. En musicien habité, il a joué des effets en les dosant savamment et a maintenu en haleine du début à la fin. La place sur le podium semblait également assurée pour ce pianiste.

Et le premier prix du Concours de Genève Piano 2022 est décerné à…

Kevin Chen © Anne-Laure Lechat / Concours de Genève 2022

L’année 2023 restera dans les mémoires comme celle d’une excellente cuvée, les membres du jury ayant même ouvert la finale à quatre participants au lieu de trois habituellement. Sans grande surprise, Zijian Wei et Kaoruko Igarashi sont repartis ex-aequo avec le troisième prix. Une des particularités du Concours de Genève est la remise en parallèle d’une multitude de récompenses que se sont partagés les deux grands lauréats de la 76ème édition. Madame Janina Fialkowska, présidente du jury a déclaré sur scène que les délibérations n’ont pas pris plus de cinq minutes. Le triomphe de Kevin Chen, premier prix, se comprend aisément. En couronnant un artiste de 17 ans à la personnalité déjà joliment affirmée, les jurés qui ont décelé un magnifique potentiel, ont parié sur la jeunesse. Deuxième prix mérité, Sergey Belyavsky est également un pianiste à suivre de près. Le public charmé lui a décerné son prix, celui du cœur. Une belle page se referme avec de grandes promesses et beaucoup d’attentes avant le prochain Concours de Genève 2023, consacré à la Flûte et au Quatuor à Cordes.  

Palmarès de la Finale de Piano

  • 1er Prix (20'000 CHF) : Kevin Chen

  • 2ème Prix (12'000 CHF) : Sergey Belyavsky

  • 3ème Prix (8'000 CHF) : Kaoruko Igarashi et Zijian Wei 

  • Prix du public (1'500 CHF) : Sergey Belyavsky

  • Prix du jeune public (1'000 CHF) : Kevin Chen

  • Prix des étudiants (1'000 CHF) : Sergey Belyavsky

  • Prix Rose-Marie Huguenin : tournée internationale de concerts pour tous les candidats

  • Prix Fondation Etrillard (5'000 CHF) : Kevin Chen

  • Prix Concerts de Jussy (3'000 CHF et un concert) : Kevin Chen

  • Prix Paderewski (3'000 CHF et un concert en Suisse et en Pologne) : Sergey Belyavsky

  • Prix de la Société des Arts (3 000 CHF et un concert) : Kevin Chen

  • Prix des Concerts Steinway Prizewinner : Un ou plusieurs concerts au sein du réseau des Concerts Steinway Prizewinner, pour un ou deux lauréats en piano

  • Prix Georges Leibenson (3'000 CHF) : Vsevolod Zavidov (non finaliste)

  • Prix Paul Streit (3'000 CHF) : Adria Ye (non finaliste)

En plus des prix officiels, le Concours de Genève propose un Programme de Soutien aux Lauréats, leur offrant un appui et des conseils indispensables pour démarrer leur carrière. Le programme comprend deux ans de management par l’agence Sartory Artists, ainsi que des enregistrements, des tournées internationales et un atelier de formation professionnelle.

Gilles Vonsattel, Momo Kodama, Janina Fialkowska, Sergey Belyavsky, Marianna Shirinyan, Kevin Chen, Till Fellner, Josu De Solaun, Kaoruko Igarashi, Zijian Wei & Florent Boffard © Anne-Laure Lechat / Concours de Genève 2022

 Membres du jury 2022

Janina Fialkowska, Canada, présidente / Florent Boffard, France / Josu De Solaun, Espagne-USA / Till Fellner, Autriche / Momo Kodama, Japon / Marianna Shirinyan, Arménie / Gilles Vonsattel, Suisse-USA

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