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Lisette Oropesa : « Susanna, Konstanze et Gilda, le top trois ! »

Lisette Oropesa : « Susanna, Konstanze et Gilda, le top trois ! »

Lisette Oropesa navigue déjà entre Konstanze et la folie de Lucia. Paris serait-il encore à la traîne ? Alors qu’elle est régulièrement invitée au Metropolitan Opera de New York ou au Bayerische Staatsoper de Munich, la soprano n’a finalement eu que rarement l’occasion de se produire en France. Le public qui se souvenait très bien de sa venue au Palais Garnier dans Die Entführung aus dem Serail en 2015, lui a réservé une ovation lors de sa récente apparition dans le rôle de Nannetta du Falstaff de Verdi à la Philharmonie.

A la veille de ses débuts au Covent Garden de Londres dans Lucia di Lammermoor de Donizetti, nous avons eu le privilège de rencontrer cette jolie jeune femme qui nous a parlé du rôle si exigeant, de sa vie d’artiste et de ses projets. Au fil de la conversation spontanée et chaleureuse, nous sommes tombés sous le charme de cette pétillante Balance qui fêtait son anniversaire le lendemain. Lisette Oropesa est une soprano bien de son temps qui pratique le footing et mange sainement, tout en profitant du plaisir d’être à Paris pour courir les boutiques. Une belle énergie se dégage de la personne quand sur scène se révèle la grande artiste. Il faut vite découvrir la chanteuse que les salles du monde entier s’arrachent déjà, car Oropesa est un nom qui a des chances de figurer parmi les grands de demain…
 

Lisette Oropesa © Jason Homa

Lisette Oropesa © Jason Homa

Vous êtes de passage à Paris pour interpréter le rôle de Nanetta à la Philharmonie dans le Falstaff de Verdi avec l’Orchestre de Paris dirigé par Daniel Harding ?

Oui, c’est la première fois que je travaille avec le chef. Il est très attentif à la musique et aussi à la comédie. Nous avons eu trois jours de répétition, ce qui est vraiment bien. Je retrouve Ambrogio Maestri avec qui j’ai souvent partagé la scène. Il connait Falstaff si bien qu’il peut entamer une conversation au beau milieu de son air ! Et puis, c’est mon anniversaire et je vais le célébrer à Paris, c’est juste du rêve ! Comme il y aura une mise en espace que je n’avais pas prévue, il me faut des chaussures…

Vous avez déjà couru plusieurs marathons. Le running a-t-il une influence dans la pratique de votre art ?

Je n’écoute pas de musique ou quoi que ce soit lorsque je cours mais c’est en tout cas un élément fondamental dans ma vie. Je considère l’exercice plutôt comme une sorte de méditation car alors, vous ne pouvez pas penser à autre chose qu’à votre corps. Parfois j’essaie de réfléchir aux récitatifs mais rapidement, il devient impossible de se concentrer. Courir est une drogue et également une façon géniale de vous approprier la ville car vous la vivez vraiment dans vos pieds.

Est-ce que comme de nombreux chanteurs américains, vous vous êtes installée en Europe ?

Sur le papier, avec mon mari nous vivons en Louisiane d’où est originaire ma famille. Au début de ma carrière, je résidais à New York et le succès aidant, je me suis dit qu’acheter une maison où ma maman pourrait vivre et où l’on poserait nos affaires serait une bonne idée. Mais nous sommes quasiment tout le temps sur la route, cela nous permet d’économiser. Les chanteurs ont souvent deux loyers à payer, celui de leur appartement et celui de la location dans la ville où ils se produisent.

Ce ne sont pas les salles qui prennent en compte votre logement sur place ?

C’est de moins en moins le cas. Maintenant, les institutions nous règlent le déplacement et notre cachet comme une enveloppe générale. Ce qui oblige à faire notre budget parce que nous sommes toujours payés à la fin des prestations. Comme nous devons avancer notre location, nous espérons surtout de ne pas tomber malade quand nous devons chanter.

Vous êtes née en Louisiane. Est-ce que vous parlez le français ?

Oui, je l’ai appris à l’école. J’aime le parler et le chanter. C’est ma langue étrangère préférée. Et c’est vrai ! Grâce aux voyelles, le français est idéal pour donner des couleurs à la voix. 
Quand j’ai chanté dans Hamlet à l’Opéra de Lausanne, tout le monde autour de moi était francophone. Ce fut mon défi personnel. Ophélie est un rôle merveilleux que j’aimerais tant refaire mais l’oeuvre fait partie de ces opéras rarement joués. J’adore Lakmé et pour bien interpréter l’air des clochettes, il faut « clouer » les contre-mis. On me l’a demandé plusieurs fois mais j’ai préféré refuser parce que je ne suis pas sûre de le faire parfaitement. En revanche, je rêve de la Juliette de Gounod et de la Manon de Massenet. Peut-être un jour…

Comment définissez-vous votre voix : soprano légère, lyrique, colorature ?

Plutôt soprano lyrique colorature. Il y a des rôles qu’on peut décrire comme lyrique, colorature ou soubrette mais cela ne veut pas dire que l’on est cantonnée à un seul emploi. J’ai même chanté Wagner (Woglinde et Der Waldvogel du Ring). Je ne suis pas une wagnérienne pour autant mais je suis fan de cette musique et je comprends pourquoi les gens en sont dingues parfois. 

Comment avez-vous découvert que vous aviez une voix ?

Ma mère a été chanteuse puis professeure de musique. Dans la famille, nous avons toujours pratiqué le chant mais mon instrument de prédilection, c’était la flûte. Il se trouve que la voix a toujours pris le dessus mais ce n’est qu’à l’université que j’ai vraiment fait le choix. Poussée par ma maman qui a su trouver les bons arguments « comme tu es une comédienne, tu dois être sur scène... », je me suis dit que finalement ce serait quand même pas mal de pouvoir pratiquer les langues et en effet, de monter sur les planches. Mais honnêtement, à l’époque j’étais plus portée par le Band Orchestra que par les chorales. Je n’avais jamais pris de cours, j’imitais juste ma maman. C’est seulement à la fac que j’ai commencé à apprécier le travail. Diplôme en poche, j’ai passé le concours du Metropolitan Opera de New York et j’ai gagné ! J’ai donc intégré le Lindemann Young Artist Development Program. Tout est arrivé très vite…

En quoi consiste ce programme ?

Il se déroule sur trois ans. La première année, vous ne faites qu’étudier.  On vous donne de nombreux conseils comme celui de maigrir. Difficile à croire mais à l’époque j’étais en surpoids. A première vue, ce n’est pas très gentil mais cela fait aussi partie de l’enseignement de vous dire ce genre de choses. La seconde année, on vous donne vos premiers contrats comme doublure ou pour de petits rôles. La soprano qui devait chanter Susanna des Nozze di Figaro était enceinte. Il fallait donc une doublure à la doublure qui devait prendre le rôle, juste au cas où. J’ai appris que j’allais faire la générale. J’avais 22 ans, j’ai répété la mise en scène jusqu’à la dernière minute. Tout s’est bien déroulé avec Philippe Jordan à la direction, le rêve… Le Metropolitan Opera m’a confié les deux premières puis toutes les représentations. Tout m’est tombé dessus comme ça. J’étais une jeune artiste, on m’a dit « Vas-y, fonce ! » et j’ai foncé…

Lisette Oporesa incarne Susanna à Glyndebourne © Bill Cooper

Lisette Oporesa incarne Susanna à Glyndebourne © Bill Cooper

A ce jour, Susanna des Nozze est le personnage que vous avez le plus souvent incarné sur scène. Il y a également Konstanze dans Die Entführung aus dem Serail (L’enlèvement au Sérail). Ce sont vos rôles signature ?

Susanna, Konstanze et Gilda dans Rigoletto forment le top trois en effet mais je dis au revoir à Susanna car il n’y a pas d’engagements annoncés dans les cinq années qui viennent. J’y reviendrai peut-être. La Contessa est un rôle qui me tente par ailleurs. J’adore Konstanze que je retrouve à Munich cet été. 
Il y a des Gilda qui s’annoncent, d’autres Lucia aussi et Traviata. C’est le rôle des rôles avec Norma car il a tout. Il ne s’est présenté qu’une seule fois à Philadelphie mais j’ai une histoire personnelle avec l’oeuvre dans laquelle je me sens complètement impliquée émotionnellement. Ma mère l’a chantée, c’est le tout premier opéra que j’ai entendu de ma vie. J’ai d’ailleurs lu la pièce de Dumas et n’ai pas arrêté de pleurer !
Parmi mes personnages préférés, il y a aussi Marie de La Fille du Régiment de Donizetti, un rôle à la fois de comédie et à la fois très lyrique. Comme je suis née sous le signe de la Balance, j’ai besoin d’alterner entre tragédie et comédie. 

On entend parler de vos débuts au Wiener Staatsoper ? Après Konstanze au Palais Garnier et Gilda à Bastille, y a-t-il un retour prévu à Paris ?

Ça se pourrait… mais je ne peux rien annoncer tant que ce n’est pas confirmé. Garnier a cette odeur particulière des vieux théâtres, les parquets qui craquent qui font penser au Fantôme de l’Opéra. C’est génial ! Lors de ma première audition à Bastille, je n’ai pas été rassurée par l’acoustique. Le piège avec les grandes salles est de vouloir pousser la voix alors que c’est inutile. Il faut juste s’habituer à ne pas avoir de retour. 

Est-il facile techniquement de passer de Mozart à Verdi ou à Donizetti ?

On a quand même besoin de temps d’un engagement à l’autre. Konstanze est un test pour votre technique et un rôle extrême qu’il faut toujours travailler. Pour Susanna, le chant est dans le personnage. D’autres héroïnes belcantistes caressent la voix. Chanter Donizetti vous apprend à aborder Verdi car l’écriture est assez proche. La grande différence est dans le souffle car la ligne est deux fois plus longue chez Verdi et vous avez deux fois moins de temps pour vous préparer pour la suivante. Lucia est un bon entraînement pour Traviata, dans l’émotion et techniquement. 

Justement, à la veille de vos débuts au Royal Opera House de Londres dans une mise en scène intense, parlez-nous de la voix de Lucia di Lammermoor ?

C’est un véritable défi pour les sopranos. Les premiers airs sont plutôt dramatiques puis cela devient colorature. La difficulté avec la scène de la folie, ce ne sont pas les aigus mais plutôt de créer des effets pour interpréter avec la voix, y placer le théâtre. 

Avez-vous commencé les répétitions avec la metteure en scène Katie Mitchell ?

A l’heure où je vous parle, nous ne nous sommes rencontrées qu’une fois autour d’un café pour qu’elle me parle elle-même de la production. J’ai bien sûr entendu les controverses car Katie Mitchell a un point de vue tout à fait personnel. Elle m’a demandé si j’avais déjà été enceinte et de me renseigner sur les fausses-couches car elle pense que c’est ce qui arrive au personnage avant la scène de la folie. L’idée rend l’opéra beaucoup plus féministe. Est-elle folle ou traumatisée par l’expérience qu’elle vit, surtout si c’est une fausse-couche en effet ? Même le meurtre peut être mis en question. L’a-t-elle prémédité ? Ici, Lucia n’est plus une vierge qui découvrirait le sexe mais une adulte qui agit. Tout est d’ailleurs montré sur scène, le sang, la relation amoureuse… La mort d’Arturo est très explicite et je suis un peu nerveuse car c’est la première fois que je vais tuer quelqu’un sur scène. Et pas la dernière, j’espère (rire). 
J’ai incarné le rôle déjà trois fois mais dans des productions traditionnelles. Outre l’investissement émotionnel, le plus dur pour moi sera de ne jamais sortir de scène. A aucun moment, je ne peux me détendre, retourner dans la loge, boire un verre, jouer sur le téléphone, ce genre de choses... Ce sera très intense et je suis ravie que l’on ait la chance de répéter beaucoup. 

Les critiques ont-ils une importance à vos yeux ?

J’avoue que je fais partie de ces chanteurs qui les regardent. Je préfère lire de bonnes critiques sur les productions, bien sûr. Mais le plus important reste de toujours se sentir en confiance dans ce que vous faites. C’est assez vertigineux de constater parfois les différents niveaux de compréhension et intéressant aussi car cela révèle souvent des choses sur l’auteur. Pour moi, le meilleur critique est celui qui aime l’opéra et qui donne envie. Tout cela reste évidemment très subjectif mais il ne faut pas sous-estimer leur pouvoir et leur influence. Une fois passée, la représentation disparaît à tout jamais. En revanche, les écrits restent. Au-delà des controverses, des tensions parfois, de l’accueil du public bon ou mauvais, à la fin, nous restons malgré tout des êtres humains.

Il y a une partie de votre carrière que nous n’avons pas abordé encore, ce sont les récitals…

C’est un exercice que je trouve plus difficile que l’opéra car lorsque vous vous fondez dans Schubert ou Mozart, ce sont des changements de personnage presque à chaque Lied. En revanche, changer de langue m’enchante. Il y a tant de mélodies notamment en français, Chausson, Fauré… J’adore !

Vous avez même dansé ? Racontez-nous…

Oui ! Au Bayerische Staatsoper, j’ai participé à la production des Indes galantes de Rameau avec Sidi Larbi Cherkaoui à la mise en scène et à la chorégraphie. L’œuvre se prête parfaitement à la danse et Larbi est vraiment brillant. C’est aussi un chorégraphe du mouvement qui possède une belle énergie, une sensibilité presque organique. Je n’ai jamais autant dansé car dans la distribution, nous étions nous les chanteurs plutôt des éléments de la chorégraphie. J’ai beaucoup aimé mais malgré tout, je ne suis pas une danseuse… Malheureusement, je me suis blessée au cours d’une représentation et depuis, il faut que je m’en remette. Je n’ai pas pu courir pendant des jours et cela reste douloureux. 
Pour la plupart des gens, le métier de chanteur lyrique peut paraître très glamour. Vous voyagez dans le monde entier, d’hôtels en hôtels mais la réalité est assez éloignée et cela reste un défi qu’il faut relever à chaque représentation.  


Propos recueillis le 28 septembre 2017

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