Gstaad enchante la Zauberflöte de Mozart
Même si l’opéra n’est pas exactement dans l’ADN du Gstaad Menuhin Festival, le festivalier peut avoir une très bonne surprise et même tomber complètement sous l’enchantement d’une Flûte. Dans les Alpes, la musique sonne haut ! Explications…
Entre Gstaad et Saanen, les belles soirées du Gstaad Menuhin Festival & Academy s’enchaînent soulevant bien souvent l’émerveillement. Quelques grands rendez-vous sont donnés dans un lieu insolite. Transformée en une imposante salle de concert confortable et luxueuse, la tente de Festival (das Festival-Zelt) abrite habituellement des rencontres sportives et le temps du Festival, les grands événements musicaux. Devant un parterre qui peut compter jusqu’à 2000 personnes, la magie a opéré le soir du 27 août 2022 où les festivaliers ont assisté à la représentation de La Flûte enchantée (Die Zauberflöte) de Mozart dans une configuration en effet enchanteresse. Une mise en espace et des projections vidéos ont permis à la version de concert de l’opéra de prendre vie avec les artistes en simple costume proche de leur personnage. Avec Christophe Rousset comme grand ordonnateur et grâce à une brillante distribution, la soirée déjà placée sous les meilleurs auspices est devenue l’événement incontournable de la saison suisse (avant d’enchanter le Festival Berlioz où le spectacle a été repris deux jours plus tard).
Le livre d’images qui révèle les Talens
Même si les voix sont toujours les bienvenues à Gstaad, le genre lyrique n’est pas le plus fréquenté pendant le Festival. Avec la venue de Jonas Kaufmann en Fidelio au début du mois, cette Flûte enchantée est la deuxième exception qui confirme la règle. La saison 2022 du Gstaad Menuhin Festival & Academy restera-t-elle comme celle des opéras ? Les versions de concert offrent une alternative intéressante qui place sur un pied d’égalité orchestre et plateau vocal. L’acoustique accommodante de la Festival-Zelt a bien accueilli Les Talens Lyriques, formation baroque sonore dirigée avec fougue par Christophe Rousset. Le chef, toujours un exemple d’équilibre, a donné l’impression ce soir que l’air suisse avait vivifié sa battue. L’ouverture sans extravagance toutefois, était particulièrement alerte et enthousiasmante comme l’ensemble de la direction de Rousset, son fondateur. Le chef-d’œuvre de Mozart convient tout aussi bien au chef que les opéras de jeunesse avec cette élégance et un sens du théâtre qui donne vie à la représentation. Le vidéaste Benoît Bénichou a sculpté des décors de lumière en allant puiser dans l’imagerie traditionnelle du Singspiel. Sa mise en espace discrète et efficace participe en plein à la réussite du spectacle, l’accomplissement venant d’une distribution vocale assez idéale.
Les initiés reconnaissent Sarastro comme l’un des leurs
Sandrine Piau, l’artiste la plus connue de l’ensemble, a ravi l’audience avec son timbre incomparable et la conduite délicate d’une voix faite pour incarner Pamina. Le sublime aria « Ach, ich fühl’s » manquait sans doute d’un soupçon de grâce mais comment faire reproche à une soprano qui fait passer autant d’émotion dans son chant ? Dans le rôle toujours payant de Papageno, la personnalité vocale de Christoph Filler n’est certes pas débordante mais le baryton bien chantant est si bon acteur qu’il emporte l’adhésion avec son jeu délicieux. Die Königin Der Nacht, l’autre rôle très attendu (et pourtant l’un des plus courts), tenu par Rocío Pérez demande à la fois véhémence et justesse. La soprano impressionne dans un premier air maîtrisé et séduit avec « Der Hölle Rache » que l’on aurait aimé plus coloré. Les grands airs sont bien évidemment scrutés mais l’homogénéité d’une distribution est souvent bien plus importante que les prestations individuelles. Judith Van Wanroij, Marie-Claude Chappuis et Angélique Noldus sont trois dames de luxe et Markus Brutscher, un Monostatos remarqué comme la jeune Daniela Skorka (Papagena). Le rôle du Sprecher est parfaitement incarné par Christian Immler. Jeremy Ovenden, l’un des grands titulaires actuels du rôle de Tamino, n’est pas exactement un ténor « di grazia » mais l’artiste arrive à charmer facilement avec une ligne de chant conduite dans l’expressivité plus que dans la pure beauté. Autre acteur important, l’Ensemble Vocal de Lausanne déploie des sonorités raffinées et habite chacune de ses interventions avec talent. Enfin, dans le rôle difficile de Sarastro, Alexander Köpeczi est une révélation ! Le bariton-basse aborde avec sécurité une partition redoutable en faisant sonner ses graves et exploser ses aigus. L’excellence du Gstaad Menuhin Festival & Academy se vit avec ses artistes qui procurent l’enchantement, comme ce soir de grand spectacle.