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Faust de Gounod, opéra inconnu au Théâtre des Champs-Elysées

A Paris, il y en a pour tous les goûts et tout particulièrement dans le domaine de la musique classique. Pourtant, les occasions d’entendre le célèbrissime Faust de Gounod sont devenues rares. Lorsque le Théâtre des Champs-Elysées avec le Palazzetto Bru Zane propose une version inédite, les mélomanes se précipitent. Résultat des courses…

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Né le 17 juin 1818, Charles Gounod est assurément le compositeur tendance de 2018. Alors que la France s’apprête à souffler 200 bougies pour le grand homme, le Théâtre des Champs-Elysées vient de lui rendre hommage de la meilleure façon qui soit en programmant une version de concert de Faust, ce jeudi 14 juin 2018. Dans le cadre du Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, le chef-d’œuvre a été proposé dans sa première version de 1859, avec dialogues parlés. Après une parfaite réussite avec La Nonne sanglante à l’Opéra Comique, le Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française qui œuvre depuis 2009 de façon admirable, comble de nouveau les amateurs de lyrique avec cet opéra inédit du grand Charles. 

Il est toujours passionnant d’entrer dans la cuisine des compositeurs. Gounod a découvert la tragédie de Goethe très tôt et c’est quelques années plus tard qu’il écrit finalement son opéra pour le Théâtre-Lyrique. Léon Carvalho, célèbre et puissant directeur de ce qui était alors la troisième institution lyrique (après l’Académie impériale de musique et l’Opéra-Comique), demande de nombreux changements et des coupes pour une plus sûre garantie de succès. La version définitive communément répandue aujourd’hui date de 1869 avec l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Grâce aux travaux de Gérard Condé et de Paul Prévost, l’histoire de la composition est bien connue mais excepté Michel Plasson pour quelques extraits dans l’enregistrement Decca, personne n’avait encore proposé ce Faust originel à la scène.

Comme en gastronomie moderne, nous sommes dans une complète revisite de l’œuvre. Il est assez aisé de jouer aux jeux des sept différences car elles sont nombreuses et changent pas mal la physionomie de l’œuvre. Habitués que nous sommes au choeur « Gloire immortelle de nos aïeux », son absence est remarquée tout comme la disparition du « Veau d’or » remplacé par un « Maître scarabée ». Un charmant trio entre Faust, Siebel et Wagner offre plus de consistance aux personnages secondaires. 

Y’a-t-il un ténor pour incarner Faust ?

Les dialogues parlés révèlent un pan comique inédit grâce notamment aux répliques de Méphistophélès qui font mouche. Le personnage de Marguerite est sans doute celui qui prend le plus d’étoffe grâce au duo avec Valentin délicatement fraternel ou avec cette scène glaçante où l’héroïne avoue son infanticide. Dans le rôle, la superbe et admirable Véronique Gens apporte un supplément d’âme avec sa classe naturelle et son phrasé proche de la perfection qui font oublier quelques aigus tirés. Avec beaucoup de spontanéité, Jean-Sébastien Bou incarne un Valentin vibrant et émouvant. Dans le rôle de l’ami Siebel amoureux transi, Juliette Mars un peu trop grande dame convainc moins à la différence d’Ingrid Perruche, inénarrable Dame Marthe. La soprano joue la comédie également dans les parties parlées où elle défend son rôle avec conviction comme Anas Séguin celui de Wagner. Le baryton qui remplaçait Jérôme Bouteiller est indéniablement un talent à suivre de près. Seul non francophone de la distribution, Andrew Foster-Williams roublard dans le rôle de Méphistophélès est sauvé par le surtitrage. Avec un vibrato désormais prononcé, la voix est fort heureusement plus compréhensible dans les parties chantées.

Qui a dit qu’il n’y avait plus de ténor ? Après le triomphe de Michael Spyres à Comique et celui de Roberto Alagna (présent sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées deux jours plus tôt dans Samson et Dalila de Saint-Saëns), Benjamin Bernheim délivre à son tour une prestation exceptionnelle. Son Faust est racé et une parfaite diction lui permet d’aborder le fameux air « Salut ! Demeure chaste et pure » comme une mélodie avec un art consommé des nuances. Le Chœur de la Radio Flamande est également digne d’éloge. Il faut avouer que l’on n’attendait pas Christophe Rousset et Les Talens Lyriques dans ce répertoire, tout habitués que nous sommes à voir le chef exceller dans le baroque. Certes, l’orchestre augmenté à une cinquantaine de musiciens ne sonne pas toujours parfaitement juste mais l’implication du Maestro est telle que l’on est emporté par sa fougue. Sans gommer l’aspect parfois pompier de la partition, il dirige certaines scènes clés avec une infinie délicatesse qui participe en plein au succès de la soirée. 

Les quelques mélomanes qui n’ont pu faire le déplacement au Théâtre des Champs-Elysées pour assister au triomphe de ce nouveau Faust, sont passés à côté d’un exceptionnel moment de musique française en ratant sans nul doute, l’un des grands temps forts de l’année Gounod.