Classique c'est cool

View Original

Alexander Steinhilber : "Tout ce qui touche à Bach nous concerne !"

Lorsque nous avons rencontré le Dr. Alexander Steinhilber le 18 juin 2017, il occupait le poste de Directeur Général des Bach-Archiv Leipzig depuis un an et demi. Les aléas de la vie font qu’à ce jour, il ne fait plus partie de la grande institution mais l’échange que nous avons eu avec lui reste d’actualité.

Dr. A. Steinhilber © Gert Mothes

Pour des lecteurs francophones, il est toujours passionnant de connaître le monde de la musique, surtout lorsque que celui-ci s’articule autour du nom de Bach.
Les Archives Bach ont été créées en 1950, à l’occasion du 200ème anniversaire de la mort du compositeur, dans le but de réunir les ressources et tous les documents sur sa vie et son Oeuvre. Ils sont surtout connus pour être les organisateurs du célèbre Bachfest. Le grand festival qui a lieu tous les étés à Leipzig au mois de juin est une vitrine. Il reste la partie émergée de l'iceberg car l’activité principale des Bach-Archiv se concentre sur l’impressionnant travail des chercheurs, des conservateurs et des musicologues sur le fameux Cantor de Leipzig. 

Lors de l’édition 2017 du Bachfest, le Docteur Steinhilber nous a reçus entre deux concerts pour nous parler du programme 2018. Il a été également question des recherches, de musique, de médaille et de Bach, bien sûr... A la veille de l’ouverture au public des réservations 2018, révisons notre Bach avec cet enthousiasmant spécialiste et souhaitons-lui bonne chance dans ses prochaines fonctions !

Quel est votre parcours ?

Auparavant à Hambourg, j’occupais le poste de responsable du Département de musique pour l’Autorité culturelle de la ville, en charge du classique mais aussi du Hip Hop ou de la Elbphilharmonie. L’édifice est vraiment une réussite et nous sommes ravis qu’il soit maintenant livré et ouvert au public avec le succès que l’on sait. 

Pourquoi alors avoir quitté Hambourg pour Bach ?
 
Deux voies m’ont conduit à lui, tout d’abord ma formation de musicologiste et ensuite de musicien car j’ai joué comme organiste pendant près de 20 ans. Quand vous pratiquez l’orgue qui était son instrument de prédilection, il est superflu de préciser pourquoi vous aimez la musique de Bach ! Je peux dire que je la connais du bout des doigts… littéralement ! (rires) 

Avez-vous eu l’occasion de jouer dans l’église Saint Thomas où il exerçait ?

Eglise Saint-Thomas © Bach grave, St. Thomas Church.

La toute première fois où j’ai pu approcher l’orgue, c’était à mon arrivée en février 2016. Il faisait sombre et froid dans l’église. L’atmosphère était vraiment inoubliable. Pour tous les musiciens qui jouent ici, du simple choriste aux artistes les plus renommés, l’expérience est vraiment unique. Surtout lorsque l’on sait que le corps de Bach repose dans l’église, la dimension peut prendre une tournure spirituelle. 

L’orgue est-il l’original sur lequel Bach composait ? 

Hélas, non ! Cet instrument a été détruit mais des deux orgues placés dans l’église, celui qui se trouve au balcon est un Woehl de 2000 qui a été pensé dans l’esprit de ce que Bach aurait pu connaître. Il est plus approprié que le premier orgue très romantique, un Sauer qui date du XIXe siècle. 

La conservation d’un legs Bach a-t-elle été le préambule à la création des Bach-Archiv, d’ailleurs relativement récente (1950) ?

Le point de départ est en réalité la seconde guerre mondiale. Tous les manuscrits détenus par la Staatsbibliothek zu Berlin (la Bibliothèque d'État de Berlin) ont été disséminés dans plusieurs villes d’Allemagne. Un grand nombre a subi des dommages ou a été perdu. Il a été décidé de créer un centre pour la conservation et la recherche des partitions ; le principal travail étant de retrouver leurs traces ou simplement de savoir si elles existaient encore. Il avait été également décidé de tout rassembler en un seul endroit, ici à Leipzig mais finalement les documents sont repartis à Berlin. Nous possédons toutefois la deuxième plus grande collection avec notamment, 44 partitions de cantates. 

Portrait de Bach.

Vous possédez également le seul tableau authentifié représentant le portrait de Bach ?

Pour être plus précis, Elias Gottlob Haussmann a peint deux portraits, l’un en 1746 et l’autre en 1748. Ce sont les seuls connus, réalisés du vivant du compositeur et ils sont ici, à Leipzig. Celui de 46 est toujours au Stadtgeschichtliches Museum (le Musée d’Histoire de Leipzig). Celui de 48 qui a été moins rénové, a conservé ses belles couleurs très brillantes. 
L’histoire de ce tableau est incroyable. Il a voyagé entre la Silésie, Hambourg et le Dorset. Au moment de la guerre, les propriétaires l’ont confié aux parents de John Eliot Gardiner qui a grandi sous le regard de Bach ! Le tableau a ensuite traversé l’Atlantique pour être accroché à New York, dans le salon de William Scheide. En visite à Leipzig, le musicologue érudit et philanthrope a conclu que le portrait de Bach devait intégrer la collection des Bach-Archiv. Nous avons lancé une collecte de fonds et depuis 2015, les visiteurs du Bach-Museum peuvent l’admirer.

L’institution ne se concentre pas uniquement sur les partitions ? 

Tout ce qui touche à Bach nous concerne. Non seulement Johann Sebastian mais également ses fils musiciens, ses élèves, les compositeurs saxons, les thuringeois... Nous avons établi la Neue Bach-Ausgabe (la nouvelle édition Bach, achevée en juin 2007). Nous nous attaquons maintenant à l’édition Wilhelm Friedemann Bach, à la Carl Philipp Emanuel Bach et également à la Johann Ernst Bach, le cousin éloigné. 

Mais vous continuez toujours les recherches sur Johann Sebastian ? 

Ce n’est plus notre activité principale mais nous avons plusieurs projets indirects car nos recherches ont pris une nouvelle tournure. Nous nous concentrons maintenant sur les élèves de Bach, à la Thomasschule. A cette époque, comme il n’y avait pas de manuels scolaires, les étudiants notaient tout à la plume. On suppose qu’ils ont écrit sous la dictée de Johann Sebastian et qu’ils ont emporté avec eux ces précieuses notes. Comme un bon nombre d’élèves sont devenus musiciens d’église, nos enquêteurs se rendent dans les archives et parfois de toutes petites paroisses, pour dénicher des documents en soufflant sur la poussière. Nous estimons que l’on peut trouver également des éléments indirects en examinant leurs compositions où des réflexes d’écriture pourraient être inspirés de Bach.

Bach a-t-il été complètement oublié au cours de l’Histoire ?

L’on estime à tort que la renaissance Bach serait due à Felix Mendelssohn. Cela est vrai pour les compositions vocales mais les parties instrumentales n’ont jamais cessé d’être jouées. En revanche, au XVIIIe, lorsque vous parliez du grand Bach, il s’agissait de Carl Philipp Emanuel et non de son père ! Rappelons-nous que Bach descend aussi d’une famille de musiciens dont les œuvres ont été complètement oubliées. Mais là, peut-être à raison… (rires) 

Est-ce que le mouvement baroque des années 70 a permis un nouvel engouement pour Bach ?

Dans l’approche de l’interprétation, sans aucun doute. Cet aspect est très important dans la programmation du festival car nous estimons qu’il n’existe pas une seule façon d’interpréter sa musique. Nous refusons tout dogmatisme en invitant par exemple, le Gewandhausorchester qui joue sur instrument moderne et le Freiburger Barockorchester, historiquement informé. En revanche, il paraît nécessaire de garder à l’esprit les règles de la musique baroque, même avec des instruments modernes pour éviter les contresens. Un violon moderne offre des possibilités qui n’existaient pas au temps de Bach. Chaque interprète doit viser la qualité, en gardant sa spontanéité pour jouer librement.
Pour l’édition 2018, nous proposons un cycle des plus célèbres cantates de Bach que nous avons baptisé « Der Leipziger Kantaten-Ring », en référence à Wagner. Tous les chefs sont issus du courant « historiquement informé » mais chacun possède son propre style. La comparaison s’annonce passionnante.

Parlez-nous de ce cycle qui s’annonce comme le temps fort de l’édition 2018…

Les 30 meilleures cantates de Bach seront exécutées au cours de dix concerts, étalés sur 3 jours, du 8 au 10 juin 2018. Les plus grands chefs actuels qui ont enregistré une intégrale sont invités : Sir John Eliot Gardiner, Ton Koopman, Hans-Christoph Rademann, Masaaki Suzuki et naturellement, Gotthold Schwarz l’actuel Cantor de Leipzig.

Les 30 meilleures ? Comment avez-vous fait votre choix ?

Sir John Eliot Gardiner, le président des Bach-Archiv, le Dr Peter Wollny, le directeur et Michael Maul le dramaturge ont dressé chacun de leur côté, une liste de leurs cantates préférées. Sir John Eliot en a choisi 32, Michael 38 et Peter 52 ! Il se trouve que 21 pièces se sont retrouvées dans les trois listes que nous avons sélectionnées, naturellement. Pour les neuf restantes, nous avons choisi des œuvres qui convenaient aux lieux. Mis bout à bout, cela représente 18 heures de musique, soit un tout petit peu plus long que le Ring de Wagner ! 
Nous avons déjà mis en vente un abonnement pour la série complète qui a rencontré un succès énorme. Mais pour ne pas désavantager les spectateurs qui ne souhaiteraient assister qu’à une représentation, d’autres tickets seront mis en vente en novembre. 

Quel est le thème de l’édition 2018 du Bachfest ?

Cela ne vous étonnera pas, il s’agit des Cycles ! Les œuvres qui sont composées dans une succession comme les passions, les concertos brandebourgeois, le clavier bien tempéré, les suites pour violoncelle, etc.

Comment s’élabore la programmation du Festival ?

Le Directeur Artistique, John Eliot Gardiner, dessine les grands axes. Ensuite, Michael Maul construit un programme autour avec un concept dramaturgique. Enfin, nous nous réunissons et décidons tous ensemble. 

Est-ce un travail de longue haleine ?

Tout au long de la saison, nous assistons à de nombreux concerts, nous écoutons beaucoup de CDs et nous nous réunissons souvent pour échanger car nous avons des approches différentes et complémentaires. Nous refusons régulièrement les programmes proposés clés-en-main. Notre travail consiste finalement à répondre à des questions simples : Qui pour les Brandebourgeois ? Qui pour le Clavier bien tempéré ? Nous essayons également de proposer une grande variété d’artistes d’une saison à l’autre pour offrir au public du festival les différents regards sur la musique de Bach. John Eliot Gardiner qui est à la fois le Directeur Artistique du Festival mais surtout le Président des Bach-Archiv est le seul artiste présent chaque année. D’ailleurs, le projet du Ring des Cantates est un peu basé sur son pèlerinage Bach.

Combien d’événements sont-ils programmés ?

Nous sommes encore en train de planifier la saison mais nous aurons sans doute plus de 120 concerts, dans les lieux historiques de Leipzig. 

Est-ce l’organisation du festival qui vous prend le plus de temps ?

Les Bach-Archiv se divisent en quatre pôles : la recherche, la librairie, le musée et le département artistique en charge du Bachfest. Dix personnes y travaillent en permanence et l’été, nous passons à cent ! Difficile de répondre car l’on ne compte pas ses heures. Mais disons que le festival prend peut-être un tiers du temps, environ. 

Une dernière activité que nous n’avons pas encore évoquée est la médaille Bach, remise chaque année au cours du festival ? 

Nous intervenons juste comme conseil car cette médaille est remise par la ville. Nous proposons le nom d’un artiste qui doit avoir une forte implication dans l’œuvre de Bach mais également pour la ville de Leipzig. C’est ensuite le maire, épaulé par un comité spécial qui décide. Ils n’ont jamais refusé notre proposition mais ils en ont la possibilité. Je ne peux encore rien pour 2018 mais nous avons déjà un nom …

Dans cette liste prestigieuse (Gustav Leonhardt, Nikolaus Harnoncourt, Herbert Blomstedt, Masaaki Suzuki, Sir John Eliot Gardiner…) il n’y a qu’un chanteur (Peter Kooij) pourquoi ?

La question ne se pose pas en ces termes. Naturellement, un chef d’orchestre aura plus de facilité à créer des attaches avec la ville de Leipzig mais attendez de voir en 2018…

Propos recueillis le 18 juin 2017