Classique c'est cool

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Une Isolde made in France au Capitole de Toulouse

Les mélomanes du monde entier sont capables de faire des kilomètres pour découvrir la nouvelle Isolde dans le chef-d’œuvre de Wagner. A Toulouse, ils ont pu applaudir également un nouveau Tristan, une nouvelle Brangäne, un nouveau Märke, etc. Explications…

Sophie Koch (Isolde), Nikolai Schukoff (Tristan) / Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

Et si la première scène lyrique française n’était pas celle que l’on croit ? Même si comparaison n’est pas raison, il est intéressant de dresser un parallèle entre deux grandes maisons d’Opéra que tout rapproche. A Paris, les représentations de la production internationale du Tristan und Isolde de Wagner ont connu quelques difficultés avec une distribution chahutée par les spectateurs. Au Théâtre du Capitole de Toulouse, ce dimanche 25 février 2023, la prestation de Sophie Koch en Isolde a été saluée par des bravos fournis. Outre la prise de rôle offerte à la grande mezzo (tandis que la capitale lui propose Marzellina dans Le nozze di Figaro de Mozart !), la deuxième reprise de la mise en scène de Nicolas Joël créée en 2007, a permis à tout le plateau vocal, sans exception, de faire ses débuts scéniques dans des rôles confiés pour la plupart à des artistes français. Après la grande réussite du Parsifal en janvier 2020, Christophe Ghristi, directeur éclairé de l’institution toulousaine, a réuni la même prestigieuse affiche (Sophie Koch, Nikolai Schukoff, Matthias Goerne et le chef Frank Beermann) pour le chef-d’œuvre de Wagner, un Everest que tous ont gravi avec panache.

Patrimoine allemand et qualité France

Matthias Goerne (Roi Marke), Nikolai Schukoff (Tristan) / Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

Distribuer les rôles à des artistes du pays est une pratique courante sur toutes les grandes scènes lyriques dans le monde, sauf en France ! En confiant six des huit parties solistes à des chanteurs tricolores comme il le fait à chaque production, Christophe Ghristi continue sa révolution tranquille qui, espérons-le, finira par gagner Paris. Il faut lui reconnaître un talent sans pareil pour confier les seconds rôles à de jeunes artistes parmi les plus prometteurs. En effet, il suffit de quelques phrases à Damien Gastl (convaincant Melot) et surtout à Valentin Thill (Le Jeune Matelot / Le Berger) pour se faire remarquer. Déjà appelé à un très bel avenir, le ténor à suivre de près aura sans doute un jour des premiers rôles à Toulouse. Avec Matthieu Toulouse (Le Pilote), Pierre-Yves Pruvot est le dernier français de la distribution. Dans le rôle majeur de Kurwenal, l’écuyer de Tristan, son chant fruste répond dans le premier acte à l’âpreté du timbre de Schukoff. Dans les scènes plus marquantes du III, son jeu tourmenté finit d’emporter l’adhésion. En Brangäne, Anaïk Morel est la vraie révélation du spectacle et pourtant rien ne semblait prédisposer la jeune mezzo française à envisager ce rôle, pivot de la tragédie. La voix solide possède les atouts pour chanter Wagner qu’elle aborde pour la toute première fois. Le timbre chaud et rond, l’étendue de la tessiture et des moyens à l’apparente facilité transportent sur les plus hautes cimes du chant wagnérien, le sommet étant la ponctuation du célèbre duo du deuxième acte « Habet acht! Habet acht! », absolument magnifique !

Un nouveau pas vers l’immortalité

Sophie Koch (Isolde) / Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

Les mélomanes sensibles aux voix savent quel artiste d’exception est Matthias Goerne. Après avoir interprété Kurwenal à l’Opéra Bastille notamment, le grand baryton allemand se donne les moyens de descendre dans une tessiture plus basse pour incarner sur scène (il ne l’avait chanté qu’en version de concert jusqu‘alors) un König Marke éminemment royal. En quelques inflexions, il donne toute l’humanité de son personnage faisant juste regretter la brièveté de sa scène. Dans le rôle écrasant de Tristan, Nikolai Schukoff possède une technique particulière qui lui permet de venir à bout de l’acte III sans trop d’accidents. L’absence de vibrato dans certains aigus rapproche parfois son chant du cri mais le ténor affronte toutes les difficultés bravement. Très attendue dans un rôle où peu d’artistes françaises se sont illustrées, Sophie Koch est une Isolde vibrante même si elle ne renouvelle pas, pour l’instant, le miracle Kundry de 2020. Wagner n’ayant pas la réputation de ménager ses chanteurs, l’endurance est de mise avec un instrument brillant que l’artiste possède et qu’elle utilise avec science pour venir à bout de ces cinq heures de spectacle. Plus à l’aise dans l’acte II où les grands moyens se déploient, elle lance des aigus dardés qui impressionnent. Passé le stress de la première et la pression qu’engendre forcément une telle prise de rôle, Sophie Koch s’épanouira dans un rôle qui est désormais le sien. Elle peut chanter en confiance avec un chef admirable. Après Parsifal et Elektra, Frank Beermann retrouve l’Orchestre national du Capitole, l’une des plus belles formations de l’Hexagone. Les couleurs de l’ensemble sont comme toujours remarquables et l’on s’émerveille bien évidemment avec le grand symphonique qui ne déborde pourtant jamais sur le lyrique. Les silences pesants de l’ouverture installent le drame avec un jeu très intéressant sur les vibratos. Le chef sculpte sa pâte orchestrale entre âpreté et volupté, force et beauté. Avec un dispositif très simple (retrouvé grâce à la collaboration artistique d’Émilie Delbée), la mise en scène intemporelle et féérique de Nicolas Joel bouleverse avec des images stylisées qui resteront longtemps en mémoire. Au salut, les artistes et tous les membres de l’orchestre (dont la très applaudie Gabrielle Zaneboni avec son cor anglais) sont montés sur scène où ne manquait que l’ancien directeur du Théâtre du Capitole et de l'Opéra national de Paris, disparu en 2020. En assistant à cette nouvelle représentation, il aurait été sans doute fier, ému et ravi de voir le formidable travail accompli depuis par son successeur.

Sophie Koch (Isolde), Nikolai Schukoff (Tristan) / Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca