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Marlis Petersen : profession chanteuse d’opéra !

Marlis Petersen : profession chanteuse d’opéra !

Sur la planète lyrique, les grands continents souvent visités jouxtent des îles merveilleuses dont seuls les initiés semblent jouir. La soprano allemande Marlis Petersen est une star internationale qui se fait relativement discrète en France. Quelques privilégiés connaissent pourtant bien son travail grâce aux enregistrements discographiques plus réussis les uns que les autres. La grande artiste qui excelle dans le répertoire de la mélodie est une Liedersängerin parmi les plus recherchées au monde grâce à un art consommé et une technique superlative (on ne saurait trop conseiller l’écoute des Goethe-Lieder chez Harmonia Mundi).

Sur scène, elle brûle les planches. Une des plus grandes Lulu de sa génération se balade de rôle en rôle avec une curiosité qui lui permet d’aborder tous les répertoires. La saison 2018-2019 est particulièrement prometteuse avec Alcina de Haendel puis Salome de Strauss, deux personnages puissants. A l’image de ces héroïnes, il est impossible de ne pas tomber sous le charme de Marlis Petersen, voix sublime et personnalité irrésistible, solaire et merveilleusement enthousiasmante.

Il est grand temps de faire connaissance avec cette artiste magnifique qui nous a accordé une interview juste après un triomphe dans la version de concert du Leonore de Beethoven à la Philharmonie de Paris.

© Yiorgos Mavropoulos

© Yiorgos Mavropoulos

Vous venez de chanter le rôle de Leonore dans l’opéra éponyme de Beethoven avec un très grand succès. C’était la première fois que vous vous produisiez à la Philharmonie de Paris ?

Oui et je trouve que l’acoustique y est formidable. Elle vous permet d’oser chanter vraiment pianissimo, ce que vous ne pouvez pas faire dans une salle moins bonne. Je suis très heureuse du travail que nous avons accompli avec René Jacobs et le Freiburger Barockorchester.

Cette première ébauche de Fidelio n’est pas souvent à l’affiche. Comment travaillez-vous une partition comme celle-ci, quasiment inconnue ?

Leonore, c’est une odyssée, une belle découverte et une aventure en soi. J’ai commencé par écouter l’enregistrement de John Eliot Gardiner pour me familiariser avec la musique puis, j’ai attaqué tout de suite la partition en travaillant seule. Ensuite, nous avons eu une semaine entière avec le chef René Jacobs pendant laquelle nous avons approfondi nos rôles. Enfin, l’orchestre nous a rejoint pour plusieurs semaines de répétitions intenses. De plus, René a eu la très bonne idée d’une mise en espace qui oblige les chanteurs à être complètement au point avec la partition et permet d’être beaucoup plus authentique que lorsque l’on a le nez dans la partition. C’est idéal.

Cette partition, justement, la partie soprano est réputée pour ces nombreuses difficultés techniques…

Je dois admettre qu’il faut la négocier en termes d’économie et de distribution d’énergie. Mais quand vous êtes portée par l’acoustique sensationnelle de la salle comme à Paris ou à la Elbphilharmonie, c’est comme si vous laissiez chanter votre âme. Et vous savez, être entourée par les spectateurs, cela nous porte également.

Pensez-vous revenir à Paris bientôt ?

Hélas, non ! On me dit que je me fais trop rare en France et je le regrette. La dernière fois où je suis venue pour une production d’opéra, c’était en 2000 à Bastille avec Fledermaus de Strauss mis en scène par Coline Serreau. J’ai chanté au Festival Aix, il y a eu des concerts au Théâtre des Champs-Elysées et c’est à peu près tout… Les Agents et les salles possèdent leurs propres connexions. Lorsque vous jouez quelque part, vous faites comme partie d’une famille. Au Theater an der Wien par exemple, nous avons été tous enchantés de notre première collaboration il y a quelques années et depuis, elle continue. Mais il peut être difficile d’intégrer tous les cercles. C’est la vie d’un artiste, parfois les projets n’aboutissent pas. Il est vrai que j’aimerais beaucoup revenir pour un récital par exemple mais il y en a de moins en moins.

Vous n’êtes pas qu’une chanteuse d’opéra. Vous vous produisez également en récital…

De plus en plus souvent et d’ailleurs, je suis comblée car au cours de la saison 2018-2019, le Wigmore Hall de Londres m’a proposé d’être artiste en résidence. Ma saison de production lyrique est déjà programmée jusqu’en 2022-2023 et les récitals, un ou deux ans avant. Passer de l’opéra au récital de chant oblige à alléger la voix. Il faut donc ménager du temps pour recommencer doucement et du début ! Ce qui est amusant, c’est que le CD « Dimensionen Welt » est sorti mais je vais chanter les mélodies sur scène seulement maintenant. Et le plus fou, c’est que j’aurai déjà enregistré le suivant…

Bonne nouvelle, il y a donc un nouveau CD en préparation ?

Une trilogie « Dimensions » est en cours. Dimensionen Welt est le premier. Le thème du prochain sera les autres mondes, la nuit, les rêves, l’âme et les univers des contes de fées, des elfes, des trolls et de toutes les créatures que nous ne voyons pas.

Vous avez élaboré le programme de « Dimensionen Welt » avec une sélection originale qui fait appel à de nombreux compositeurs. Pourquoi s’embarrasser alors que la plupart du temps, les artistes se contentent d’un album Schubert ou un Schumann ?

Pas moi (rires)… Il doit exister plus de 200 disques Schubert ! Ce qui m’intéresse est de construire un pont pour emmener celui qui écoute sur un parcours musical. Et surtout, faire le lien entre « Mensch und Lied », les êtres humains et les mélodies. La musique nous invite à prendre le temps pour admirer la nature par exemple ou profiter du merveilleux monde.

Avec le pianiste Stephan Matthias Lademann, nous avons d’abord regroupé des centaines de Lieder avec des sujets intéressants. Puis petit à petit, des thèmes sont apparus et de plus en plus clairement comme celui des êtres humains entre ciel et terre. Comme la chose la plus importante reste bien évidemment la nature, nous avons gardé ce thème central. Schubert est d’ailleurs un compositeur fantastique pour l’évoquer avec des images éloquentes, celles d’un promeneur qui s’interroge sur ce qu’il voit. En étudiant les partitions, je me suis rendu compte que de nombreuses mélodies expriment le tiraillement de notre condition humaine. Nous avons un destin avec des chagrins et des regrets. En prendre conscience nous fait gagner en maturité. Enfin, nous avons toujours l’espoir et une aspiration à apprendre avec le désir d’aller vers quelque chose. La conclusion vient avec la belle musique de Hans Sommer sur « Erinnerung » le poème de Goethe qui nous interroge : « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu attends quoi du monde ? Regarde un peu car dans chaque instant, il y a du bonheur ».

Connaissez-vous déjà le programme du prochain « Dimensionen » ?

Il se peut que ce soit complètement différent, sans parties distinctes. Cela va dépendre de ce que nous allons trouver. Cette fois, le pianiste accompagnateur sera Camillo Radicke avec son touché raffiné et délicat qui correspond tout à fait au monde des elfes. Pour l’instant, la question de la langue se pose car nous nous tournons vers le répertoire scandinave. Il est important de bien comprendre et surtout de posséder le texte pour le transmettre. Malheureusement, je ne sais pas si j’aurais vraiment le temps d’apprendre le suédois et le finnois. Il y aura bien sûr des Lieder allemands et sans doute des mélodies anglaise, peut-être même du folklore. J’aime ce mélange de morceaux très connus et d’autres complètement nouveaux.

Cette curiosité se retrouve également dans le choix de votre répertoire ?

Il existe à travers le monde tant de belles musiques et j’aime découvrir. D’ailleurs si le Freddy Mercury d’aujourd’hui me proposait de faire quelque chose avec lui, bien évidemment j’accepte !

Est-il vrai que lorsque vous vous êtes produite sur une scène pour la toute première fois, vous n’aviez jamais vu d’opéra ?

© Yiorgos Mavropoulos

© Yiorgos Mavropoulos

Je suis née dans une petite ville à côté de Stuttgart. Mes parents ont voulu que je fasse du piano. Ils ont d’abord testé ma musicalité et à quatre ans, on leur a dit que j’avais un grand talent. A sept ans, je jouais déjà et je chantais à l’école car il y avait des concerts donnés par les enfants. L’on me confiait toujours des petites parties solos car on trouvait que j’avais une voix mais la révélation a eu lieu plus tard, à 16 ans dans le chœur de l’église. Il a fallu trouver un compromis avec mes parents. Je me destinais donc à être professeure de musique mais j’ai senti que ce n’était pas ma voie. Le chant devenant de plus en plus important, je me suis perfectionnée, j’ai passé une première audition qui a marché et me voilà !

J’ai intégré la troupe du Staatstheater de Nuremberg. En effet, alors que je n’avais vu peut-être que quatre ou cinq opéras à Stuttgart pendant mes études, la première chose que j’ai dû faire est un remplacement de dernière minute dans une opérette d’Offenbach. En trois jours, il a fallu que j’apprenne le texte, la partition et la mise en scène et c’était vraiment super excitant (rires). C’était un peu fou à cette époque mais j’ai appris beaucoup avec le Directeur Musical de Nuremberg, un « enfant terrible » (Ndlr : en français dans le texte) de la scène en Allemagne. C’est lui qui m’a confié ma première Lulu de Berg.

Vous étiez jeune lorsque vous avez abordé ce rôle très difficile...

J’avais 26 ou 27 ans. Nous étions 3 sopranos, une pour chaque acte. J’ai fait le premier et j’étais tellement fascinée par ce que j’entendais que j’ai eu envie de tout apprendre. Trois ans plus tard, ma vraie première Lulu est arrivée à Cassel. Par chance, le grand metteur en scène Peter Konwitschny était dans la salle. Il m’a emmenée à Hambourg pour travailler avec lui et depuis cela ne s’est jamais arrêté. Nous sommes allés à Vienne, Düsseldorf, Athènes, Chicago, …

Lulu est votre rôle signature ?

C’est sans doute le plus fort de toute ma carrière. J’ai participé à dix productions différentes et je me souviens de toutes. La plus inoubliable est bien sûr celle de Hambourg avec Konwitschny, la source de mon interprétation. A Vienne, la mise en scène de Willy Decker était très intelligemment pensée. Très esthétique, elle montrait ce qui se passe hors-champ. A Athènes également, je me souviens de la mise en scène surprenante d’Eike Gramss. Et puis, il y a eu celle de Tcherniakov à Munich très puissante, très forte. Celle de Kentridge à New York...

Partout, sauf à Paris !

« C’est dommage » (Ndlr : en français dans le texte) (rires)

Est-ce à Nuremberg que vous avez principalement développé votre répertoire ?

Oui, j’ai vraiment fait beaucoup de pièces et après je suis rentrée en troupe à Düsseldorf où j’ai encore étoffé mon répertoire italien et français avec environ 25 nouveaux rôles. La troupe est la meilleure des bases pour apprendre car vous avez une famille autour de vous, tout en construisant votre voix.

Et votre technique ? Cela semble si naturel quand vous chantez…

Quand cela paraît simple, c’est que vous êtes arrivé à quelque chose (rires). Je crois que j’ai eu la chance de suivre l’enseignement de Sylvia Geszty qui nous a appris à utiliser le support pour surmonter toutes les difficultés. C’est toujours beaucoup de travail que l’on n’imagine pas. Vous connaissez cette blague lorsque l’on vous demande votre profession et que vous répondez que vous êtes chanteuse d’opéra. Invariablement, on vous rétorque : « Et que faites-vous le reste du temps ? »

A la rentrée 2018, vous abordez de nouveau le répertoire baroque avec Alcina ?

J’ai chanté le rôle de Morgana il y a quelques années et en entendant celui d’Alcina, je me suis dit, un jour peut-être… Aussi quand Roland Geyer le directeur Theather an der Wien m’a contactée car il avait un projet avec le Concentus Musicus Wien, j’ai sauté sur l’occasion pour lui proposer l’opéra de Haendel mais je dirais que c’est plutôt un pas en arrière pour ma voix car j’aborde maintenant des rôles plus lourds comme Marietta dans Die Tote Stadt de Korngold. Je me dirige vers Salome de Strauss (Ndlr : en juin 2019, à Munich). C’est un de mes rêves que je vais enfin réaliser et en plus, avec le meilleur des chefs d’orchestre, Kirill Petrenko et un metteur en scène du même niveau, Krzysztof Warlikowski.

Marlis Petersen - Maria Stuarda en Janvier 2018 au Theater an der Wien

Marlis Petersen - Maria Stuarda en Janvier 2018 au Theater an der Wien

Reprendre Marietta est en projet mais il y a tant de répertoires qui m’intéressent que les reprises sont rares. A part Lulu, il n’y a guère que Susanna des Nozze Figaro, Rosalinde dans Fledermaus et Sophie de Rosenkavalier et c’est tout... J’ai adoré chanter La Straniera de Bellini. Je pense reprendre Maria Stuarda de Donizetti un jour. A Aix-en-Provence, il y a eu ce Don Giovanni avec Dmitri Tcherniakov mais cela a été la seule et unique fois où j’ai abordé le rôle de Donna Anna.


Vous avez une voix colorature qui vous permet de tout faire…

En fait, je crois qu’aborder de nombreux répertoires m’a permis de garder la tension et la gamme.

Il y a des rôles que vous allez abandonner ?

Traviata, certainement… Susanna ou Sophie car je les ai beaucoup chantés. Je me vois toujours plus en Susanna qu’en Comtesse. La Maréchale serait envisageable mais Arabella de Strauss me tente plus et surtout la Kaiserin dans Die Frau ohne Schatten. J’ai dit au revoir à Lulu en 2015 au Metropolitan Opera. Les rôles que j’aime, je les garderais bien pour toujours mais il faut passer à autre chose…

Après avoir incarné Leonore, allez-vous aborder ce rôle mais dans Fidelio, cette fois ?

C’est dans les projets… Désormais, on confie cette partie à des voix sopranos plus lourdes car les habitudes ont évolué avec des orchestres plus fournis. Mais si vous avez un chef comme Kirill Petrenko qui laisse s’épanouir la musique comme il se doit, vous pouvez le faire en toute confiance.

Vous avez également chanté des rôles en français comme Manon, Thaïs et Ophélie ?

Ces opéras ne sont pas fréquemment joués, surtout dans les pays germaniques. Et je soupçonne mes collègues chefs de ne pas trop aimer ce répertoire qui demande légèreté et profondeur mais j’aimerais tellement refaire Thaïs… Lorsque vous êtes à l’affiche de deux ou trois productions dans la saison, votre temps est déjà bien rempli avec le travail en amont, les répétitions, etc. Les emplois du temps ne vous permettent pas toujours de prendre le temps que vous souhaitez pour faire tout ce que vous voulez. Là par exemple, j’aimerai prendre quatre semaines de vacances ! (rires)

Propos recueillis le 9 novembre 2017.

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